29-30 juin 1934 : la tristement célèbre Nuit des Longs Couteaux s’étale sur ces deux jours fatidiques. Durant ces quarante-huit heures décisives, les SS d’Himmler massacrent les cadres de la trop turbulente SA, les Sections d’Assaut, pourtant leurs frères d’armes et ceux qui ont aidé Hitler à saisir le pouvoir. De vrais fidèles, des camarades de combat, certains fondateurs du parti nazi. Cependant, Hitler va les écraser sans pitié. Hitler seulement ? Comment ? Pourquoi ? C’est le sujet du livre de Max Gallo. Un récit trépidant construit comme un véritable thriller.
Les SA ? Une menace
Il faut dire que le sujet s’y prête. Car ce déchaînement de violence n’a rien d’improvisé. Quand arrive cette fin juin 1934, cela fait déjà des mois que la tempête couve. Les prétentions de Röhm, chef des SA, gênent, tout comme son pouvoir ; le vieux combattant veut poursuivre la révolution nationale portée par le nazisme, s’attaquer un peu plus aux privilèges des grands capitaines d’industrie, des gradés de la sacro-sainte armée allemande. Or ces derniers, issus de la vieille aristocratie prussienne, n’entendent pas être dominés par ce capitaine aux mœurs plus que douteuses avec sa bande de voyous. Idem pour les richissimes familles qui possèdent les aciéries de la Ruhr, les grands diplomates qui craignent la force que représentent ces millions de SA dont on connaît la barbarie.
Cette armée qui ne dit pas son nom constitue également une menace pour les ténors du nazisme eux-mêmes, à l’heure cruciale où Hitler brigue la place de président d’un Hindenburg mourant. Il lui faut conquérir ce statut pour que l’Allemagne devienne pleinement une dictature ; il lui faut également l’appui de la Reichswehr, des industriels et des politiques pour pouvoir activer ses projets guerriers et son programme d’épuration ethnique. Hitler le sait, son entourage pareillement : Goering, Goebbels, Himmler aussi qui voit l’opportunité d’imposer ses SS et d’accroître ainsi son influence. Tous vont donc œuvrer afin de pousser le Führer à agir ; car ce dernier est réticent à se débarrasser d’amis fidèles qui l’accompagnent depuis le putsch raté de 1923.
Genèse d’une purge
Chacun y va lors de son petit complot dont l’auteur détaille l’orchestration pas à pas, en la superposant avec le déroulé du massacre même, décrit dans toute son horreur. Gallo dissèque la genèse de cette purge de manière à en faire ressortir la profonde perversité ; il met en lumière de manière remarquable les relations conflictuelles de ces individus aux méthodes de mafieux et la manière dont ils étaient capables d’agir, à la fois avec rigueur, secret et brutalité, pour confisquer le pouvoir. Aucune pitié pour leurs anciens compagnons d’arme, foudroyés pour la plupart sans comprendre ce qui leur arrive ; idem pour les opposants politiques dont on se débarrasse par la même occasion, y compris dans les milieux de la chancellerie.
Le nombre exact de morts ? On ne sait pas exactement, 400 diront certains. On est saisi par la rapidité avec laquelle les personnes inscrites sur les listes patiemment établies par Himmler et son second Heydrich, sont appréhendées, tuées sur place ou embarquées pour être liquidées au fond d’un bois, dans la campagne ou dans un camp de concentration. Les disparus dont on ne retrouve pas le corps, dont on ignore la destinée, sont légion. La sidération est totale, l’effet terrible : en écrasant les Sections d’Assaut, Hitler et ses proches démontrent que personne n’est à l’abri. Au lendemain de ces journées funestes, certains s’étonnent d’être encore vivants, se demandent quand viendra leur tour, hésitent à ouvrir leur porte à des inconnus.
Un drame historique comme un polar
C’est que “les morts ne racontent pas l’Histoire”, ils valent “toujours mieux qu’un adversaire oublié”, dixit l’auteur. Goebbels évoquera un “orage pacificateur” pour expliquer ces deux journées particulières. Hitler en sortira grandi, sauveur de la patrie qui n’a pas hésité à frapper ses compagnons devenus rebelles et dangereux. Mais finalement, en éradiquant Röhm et ses séides, ne s’est-il pas fragilisé, mis à la merci de ceux qui l’ont finalement manipulé ? L’image du dictateur tout-puissant en prend un sacré coup, et le nazisme apparaît soudain pour ce qu’il est : une imposture, hypocrite, prédatrice, auto-dévoratrice ; un ramassis de malfrats prêts à s’entre-dévorer sans pitié, et tant pis pour les dommages collatéraux. Max Gallo le met en évidence avec une plume dynamique et accrocheuse.
Des années après la parution du livre en 1970, n’a absolument rien perdu de sa verve ni de son impact. Sa modernité a même de quoi étonner : cette perception si juste du drame prend aux tripes comme un polar qui n’est malheureusement pas une fiction. On s’étonne que ce pan d’Histoire n’ait pas encore inspiré une série, qu’il ne soit que peu évoqué sur les écrans. Peut-être parce que sa démesure ne peut être restituée que par un Visconti, un grand réalisateur visionnaire, capable de saisir les enjeux à l’œuvre dans cet épisode tragique lourd de conséquences et de significations ? Car La Nuit des Longs Couteaux, qui va porter Hitler au pinacle, annonce les atrocités à venir. Si elle n’avait pas eu lieu, que serait-il advenu ?
Et plus si affinités
Pour en savoir sur le livre La Nuit des Longs Couteaux de Max Gallo, consultez le site des éditions Tallandier.