Octobre 2021 : après Sarko m’a tuer et Un président ne devrait pas dire ça, Gérard Davet et Fabrice Lhomme sortent leur nouvelle enquête en amont des élections présidentielles de 2022 sur les sommets du pouvoir : inspirée par Sartre, Le traître et le néant interroge cet OVNI politique que constitue Emmanuel Macron. Fidèles à leur méthode, les deux journalistes du quotidien Le Monde ont rencontré les témoins, opposants ou adjuvants, de cette ascension, ils ont enregistré leurs propos, restitué leurs récits. S’agit-il d’une disruption massive et fondamentale ? Ou d’une modernisation de façade d’idées capitalistes finalement très traditionnelles, pour ne pas dire trop ?
Contourner la langue de bois
Objectif de la manœuvre : contourner la langue de bois propre au régime et à ses communicants tout en pénétrant ces coulisses de la politique que le président a reproché à la presse, dès le début de son quinquennat, d’explorer d’un peu trop près. Et comprendre : d’où vient Macron ? Quel est son parcours ? Pourquoi et comment est-il entré en politique ? Avec quelle vision ? Quid de LRM ? « Populiste chic » pour certains, « gourou » fascinant pour d’autres, Macron est, selon le banquier Mathieu Pigasse, le « fils spirituel de trois personnes qui ont contribué à le construire : Attali, Minc, Jouyet ». Certes, cet ennemi farouche du macronisme pourrait exagérer, mais son analyse est recoupée par les faits patiemment collectés par les deux auteurs et du reste validés par les enquêtes menées par Marc Endeweld.
Et c’est ce qui fait la grande qualité de cette investigation désormais consacrée comme un best-seller : le recoupement des informations, des récits. Avec à la clé le passage au crible d’une ascension au pouvoir aussi incroyable qu’improbable et la manière dont Macron a conduit sa présidence cinq années durant. Avec une totale absence d’empathie et de connaissance du terrain. À coup de Power Points, de fichiers Excel d’enquêtes. Loin des Français, à l’abri dans son donjon parisianiste, charmant en public, condescendant, paternaliste souvent, jurant comme un charretier, méprisant ô combien dans l’intimité des réunions avec ses lieutenants. La première partie de ce décorticage est intitulée « le traître », la seconde « le néant ». Des termes volontairement dérangeants.
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Une fresque objective
C’est qu’ils collent parfaitement au puzzle rassemblé par les deux journalistes qui sont allés chercher les explications de 110 témoins dont Manuel Walls, François Hollande, François Bayrou, Philippe de Villiers, Gaspard Gantzer, Pierre Person, Christophe Castaner, Delphine Batto, Stéphane Lefoll, Benoit Hamon, Olivier Faure, Nathalie Loiseau, Marlène Schiappa, François Patriat, Christophe Lannelongue, Aurélien Pradié, François Baroin, Stéphane Bern, Mimi Marchand, Julien Dray, Stanislas Guérini… Une fresque objective où chacun raconte SON Macron, où se dessine le profil d’un stratège assez fin qui sait profiter de la décomposition avancée des partis traditionnels pour s’infiltrer dans le game, s’imposer en leader… et puis ?
Mener sa barque en solo avec ses sous-fifres, technos issus de la même génération, aux ordres, fidèles, obéissants ? Mettre en application ce pouvoir acquis progressivement dans l’ombre des ministères ? Pour aller vers quoi ? Quels desseins de fond ? Quelles mutations ? Ni de droite, ni de gauche… « Le macronisme existe – du moins sont-ils quelques-uns à y croire. L’ennui, c’est que personne ne l’a rencontré… » Constat sans appel de la part des auteurs qui contemplent un paysage politique hexagonal en ruines, où ne subsistent plus que les extrêmes et une force centrale d’une fragilité incroyable. De fait, Le traître et le néant ne prend pas parti, le livre est plus un constat, un appel à la projection dont nous avons maintenant une image plus nette au lendemain du deuxième tour.
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Un outil d’éducation citoyenne
C’est surtout un outil d’éducation citoyenne, rédigé avec beaucoup de clarté, une langue compréhensible bien que rythmée, vivante. Une édifiante plongée dans les us et coutumes de nos dirigeants, un démontage des rouages démocratiques et de la manière dont on peut en jouer pour grimper les échelons du pouvoir. Quelque chose de shakespearien dans l’observation de ce cheminement hors normes, qui n’aurait peut-être pas pu se faire dans un autre contexte. Le tout se lirait presque comme un roman à suspens, alors qu’il s’agit de se souvenir. Comme l’expliquent très bien les deux auteurs au fil des émissions où on les invite pour présenter leur ouvrage « nous avons tous la mémoire courte ».
Infobésité des réseaux sociaux, empilement de fake news et de non-événements, deux ans de pandémie, les souvenirs se relâchent, de même l’attention. Le traître et le néant a vocation à dresser un bilan et de la méthode et des résultats, tout en posant un contexte, en évaluant les retombées. L’ensemble est à la fois passionnant, éclairant, inquiétant. C’est en tout cas un excellent moyen de plonger dans les backstages du pouvoir, d’en saisir le fonctionnement, les particularités. De se faire une opinion également, ou de la nuancer. Bref d’apprendre comment la manière de gouverner le pays est en train de se transformer. Et de se demander si la voie prise est la bonne ?
Et plus si affinités :
Pour en savoir plus sur le livre Le traître et le néant, consultez le site de l’éditeur Fayard.