Voilà t’y pas qu’à la faveur de énièmes émeutes banlieusardes, on agite de nouveau le spectre de la censure social media. Soit carrément couper les réseaux sociaux pour endiguer les débordements des casseurs/pilleurs, ce qui pose question à plus d’un titre :
- la mesure, liberticide et anti-démocratique pour sûr, entrave le flot d’informations à chaud avec relais des vidéos témoignant des exactions de part et d’autre pour laisser la place à nombre de fake news et analyses capillotractées quand elles ne sont pas complotistes ;
- la décision s’avère du reste économiquement risquée comme l’explique l’article intitulé « Les coupures délibérées d’Internet par les Etats leur ont coûté plus de 5 milliards de dollars » paru le 11 janvier 2022 sue la site du journal Les Echos.
Dans tous les cas, de quoi largement foutre le seum/les boules/les pépettes devant une dérive autoritaire de plus qui :
- nous rabaisse au stade des dictatures les plus indignes, ce qui ne fait vraiment pas sérieux pour la patrie des droits de l’homme, de Voltaire, Hugo et Zola ;
- laissera sur le carreau, outre la sacro-sainte liberté d’expression, les nombreux travailleurs indés largement encouragés par le pouvoir en place à tenter l’aventure entrepreneuriale via le social media.
Tout plutôt que de perdre un contrôle déjà fragilisé de toutes parts sur une population poussée à bout par la restriction de ses moyens, la perte de ses droits fondamentaux et la peur des lendemains, tout ça sur fond de crise économique mondiale ? Mais, c’est l’Histoire qui se répète. La censure de tout temps a été le reflet des peurs les plus abjectes, les plus viles, les plus infondées.
Trêve de blabla. Comme on le dit encore et toujours chez The ARTchemists, on combat bien ce qu’on connaît bien. En tout cas mieux que via ces réseaux sociaux qu’on menace justement de nous supprimer (si ce n’est déjà fait via la modération des contenus et les règles de publication imposées par les algorithmes – si vous arrivez à lire ces lignes, c’est que nous avons échappé au scan) et où pullulent un peu de meilleur et beaucoup de pire. La censure donc ; on en a déjà parlé dans nos colonnes, avec notamment ces articles :
- Hugo censuré : Anastasie et ses ciseaux
- Chine, le pays de la censure – Si j’étais Pékinois : qu’en est-il du web à la chinoise ?
- Dalton Trumbo : hommage aux plumes de l’ombre
Mais encore ? Plus généralement, de quoi s’agit-il ? La censure, c’est quoi exactement ? Quelle est son histoire ? Ses raisons ? Ses modes opératoires ? Qui censure ? Comment ? Pourquoi ? Voici quelques livres pour vous y retrouver.
Histoire de la censure en France
Commençons par le Ba.ba, à savoir cette Histoire de la censure en France signée Laurent Martin et publiée en 2022 par les incontournables éditions Que Sais-Je ? (quand on veut défricher un sujet, rien de mieux que cette approche certes encyclopédique, néanmoins fine et précise sans être soûlante). En 128 pages claires et bien orchestrées, vous aurez une vision chronologique de la manière dont la censure a frappé dans l’Hexagone au fil des siècles et des régimes politiques. C’est synthétique, bourré d’exemples, parfait pour un galop d’essai.
Et vous pourrez éventuellement compléter avec Histoire de la censure dans l’édition de Robert Netz, qui fait la focale sur le contrôle des maisons de publication et du milieu du livre (eh oui, la censure frappe partout du moment qu’il y a diffusion de l’info, par l’art, la littérature, les médias, la presse, le cinéma…).
Le Grand livre de la censure
Avec Le grand livre de la censure chez Plon, Emmanuel Pierrat nous offre une plongée dans la censure toutes civilisations et époques confondues. Objectif : décrypter l’universalité du concept au travers d’histoires et d’anecdotes. L’approche est à la fois chronologique, thématique et disciplinaire : on trouvera dans ces pages aussi bien les Beatles que Voltaire, Picasso ou Salman Rushdie, Tolkien ou Lady Gaga. Le propos autopsie chacun de ces dossiers dont souvent, on ignore tout, afin de mettre en évidence :
- le lien entre censure féroce et peurs ancestrales,
- le panel très vaste et assez surprenant des sujets qui hérissent le poil des censeurs et les amènent à frapper, parfois n’importe comment et de manière aussi abusive que risible.
Le Livre noir de la censure
Emmanuel Pierrat, encore lui, aborde la question de la censure d’une autre manière avec Le Livre noir de la censure dont il dirige l’écriture collégiale chez Seuil. Bye bye les anecdotes historiques, ici on découvre les coulisses de la censure. Qui en tire les ficelles ? Comment se met-elle en place ? Pour quel profit ? Le livre propose une lecture secteur par secteur (religion, mœurs, politique, technologies…) avec une analyse plus technique, qui va jusqu’à aborder la question de la censure à l’heure digitale. Précisons que Pierrat est un avocat spécialisé dans les affaires de censure, c’est un sujet qu’il vit au jour le jour, qu’il traite d’un point de vue professionnel et dont il ressent l’acuité au quotidien, ce qui ressort dans ce livre passionnant.
L’Art face à la censure : Six siècles d’interdits et de résistances
Thomas Schlesser nous embraque dans une odyssée folle au travers de décennies de créations artistiques toutes formes confondues. Caravage, Courbet, Schiele, Dix, avec L’Art face à la censure publié chez Beaux-Arts éditions, l’auteur accumule les études de cas où il démonte les rouages de la censure à l’œuvre, mais aussi et surtout la manière dont les artistes ont résisté face à ces interdits dont ils étaient frappés. Car la censure s’attaque souvent à ce qui est nouveau, inédit, trop moderne et d’avant-garde pour être toléré. Or pas de progrès intellectuel et moral sans prise de risque esthétique et créative : c’est ce qui ressort de ces pages illustrées, accrocheuses et finalement pleines d’espoir.
Darkness, censure et cinéma
Le titre de cette collection boostée par les éditions LettMotif parle de lui-même. Aux commandes de cette enquête déjà riche de huit volumes et plus si affinités, Christophe Triollet se propose d’explorer les relations passionnelles du 7ᵉ art et de la censure. Horreur, sexe, religion, politique, c’est avec un œil d’expert que Triollet orchestre cette fouille fascinante et révélatrice. Pour exemple, le sommaire du tome 3 de la série, qui alterne études de cas (« La Religieuse de Rivette »), visions de fond (« Montrer la censure ») et épisodes historiques (« L’après 1962, 10 ans d’évocation de la guerre d’Algérie, du petit au grand écran »). À ce stade, on est sur de l’ouvrage de spécialisation, documenté, détaillé, cependant accrocheur et remarquablement rédigé.
Les Nouvelles Lois du web : Modération et censure
On va être clair : le thème de la censure est déjà vaste, quand il touche internet, il devient infini. Difficile de s’y retrouver, l’invention du web a considérablement fait bouger les lignes, idem avec les outils de l’IA. Censurer aujourd’hui comme hier d’ailleurs, ce n’est pas forcément interdire ou débrancher. C’est aussi restreindre, effacer, modérer. L’ouvrage Les Nouvelles lois du web publié chez Seuil s’intéresse aux régulations mises en place pour éviter la prolifération de la désinformation… et aux dérapages que cela engendre. Quand la modération devient-elle censure ? C’est toute la problématique, laissée aux mains des GAFAM qui, si elles s’allient avec les tenants des pouvoirs en place, peuvent devenir de redoutables censeurs. Spécialiste des sciences de l’information et de la communication, Romain Badouard apporte ici une analyse détaillée des enjeux à l’œuvre.
Notre petite liste est loin d’être bouclée, vous l’imaginez bien ; il existe beaucoup d’autres ouvrages sur le sujet, idem pour les documentaires, les podcasts, les films. Vous avez là une base de réflexion, de quoi vous faire une première idée. N’hésitez pas à creuser, à aller voir ailleurs. Soyez curieux, mais ne faites pas l’économie d’une recherche. N’oubliez pas ces mots de Juvénal : «La censure épargne les corbeaux et tourmente les colombes». Aujourd’hui encore, ils sont d’actualité.
Et plus si affinités