#meetoo : un hashtag, une expression, et derrière tant de souffrances tues, de douleurs ravalées, dont on n’imagine guère l’intensité et la profondeur, si soi-même, on n’a pas subi le harcèlement. Et puis il y a le point de vue de l’agresseur : qu’est-ce qui fait vriller, jusqu’où ? Pourquoi dans un cas comme l’autre, est-ce intolérable ? C’est ici que la lecture croisée d’Une affaire très française de Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld, et La Prédation de Caroline Ducey s’avère particulièrement appropriée et évocatrice. D’un côté, le parcours d’un acteur français célèbre pour ses rôles, sa faconde et ses manières pour le moins lestes, de l’autre une actrice violée durant une scène tournée par une réalisatrice et qui jamais ne s’en est remis. Au final : deux perspectives saisissantes sur les abus de pouvoir, les dérives dans le milieu du cinéma français, les traumatismes occasionnés.
Une affaire très française
Publié en mars 2024, ce livre d’enquête retrace l’ascension fulgurante, la carrière solaire et la chute de Gérard Depardieu, figure emblématique, monstre sacré du cinéma français. Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld relatent cette trajectoire par le menu, avec un style enlevé et accrocheur, jamais racoleur cependant. Ils dévoilent des incidents longtemps tus, des scandales étouffés, l’aveuglement complice du milieu cinématographique face aux comportements problématiques d’un comédien qui flirte avec les limites du convenable, n’a que faire du consentement.
Les deux auteurs explorent par ailleurs ses relations controversées avec des figures politiques internationales plus que douteuses, offrant ainsi un tableau sidérant d’une carrière à la fois flamboyante et particulièrement borderline. L’industrie du cinéma n’en sort guère grandie qui tolère, ferme les yeux, tandis que jeunes actrices et petites mains des tournages subissent les assauts et les insultes de la star. C’est cette condescendance notamment qui frappe les esprits, laisse le lecteur abasourdi.
La Prédation
Avec La Prédation, nous changeons de point de vue pour embrasser celui de la victime. Dans cet essai autobiographique publié en août 2024, Caroline Ducey revient sur le tournage du film Romance (1999) de Catherine Breillat. Elle y révèle avoir subi une agression sexuelle lors d’une scène, accusant la réalisatrice d’avoir orchestré cette violence pour le bien de son film, la mise en valeur de son propos. Ducey décrit notamment comment ses préoccupations concernant des scènes explicites ont été minimisées, menant à une expérience traumatisante où des actes non consentis ont été filmés.
Elle souligne également la manipulation et la pression exercées pour la convaincre de participer à des scènes non prévues contractuellement, les conséquences terribles du choc subi, la descente aux enfers de la drogue, la lente remontée vers la lumière. Une carrière d’actrice désormais indissociable de la scène traumatique en question, l’obligation de se tourner vers d’autres activités, l’écriture surtout, salvatrice. Difficile de rester de marbre en parcourant ces lignes, de ne pas penser à Maria Schneider ou Eva Ionesco, deux autres victimes de cette mentalité du « tout pour l’oeuvre » qui écrase les individus comme un rouleau compresseur.
Bien que distincts dans leur approche, ces deux livres mettent en lumière de véritables abus de pouvoir, totalement banalisés au cœur de l’industrie du cinéma français. Analyse journalistique ou témoignage personnel, chaque ouvrage explore la vulnérabilité des femmes au sein de cet univers qui ne protège pas, ne soutient jamais, si ce n’est les agresseurs dont la célébrité sert de bouclier. Une affaire très française et La Prédation donnent à voir les mécanismes qui favorisent les abus dans l’industrie cinématographique ; ce faisant, les deux ouvrages soulignent l’urgence de briser le silence, de changer les comportements et les mentalités, et pas seulement dans ce microcosme spécifique, mais à l’échelle de notre société dans sa globalité.
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