Il avait dit qu’on ne l’y reprendrait plus ; mais quand on a goûté au virus de la réalisation et qu’on a le talent particulièrement prolixe, difficile de tracer une croix sur les plateaux. Après vingt-six films, Steven Soderberg se tourne momentanément et avec succès vers la série télé, prenant en main le remarquable The Knick … pour finalement revenir à ses premières amours avec le trépidant Logan Lucky. Un film choral qui nous conte, une fois n’est pas coutume, une histoire de casse grandiose digne de la trilogie Ocean. Sauf qu’ici, nos cambrioleurs sortent de nulle part, n’ont aucun moyen et se trimballent une poisse incroyable.
Fil rouge de Logan Lucky : la mouise
C’est du reste le fil rouge du scénario : la mouise de la fratrie Logan est devenue légendaire partout en Virginie occidentale. Ancienne gloire locale du football, l’un a tout perdu en se brisant le genou, depuis il végète dans des boulots de mécano, tâchant de faire rentrer l’argent pour payer la pension alimentaire de sa gamine qu’il adore. L’autre a perdu son bras en service commandé en Afghanistan, de retour au pays, il est devenu barman, a fait un peu de tôle. La sœur ? Elle est coiffeuse, rien de bien glorieux. Ils aimeraient bien arrondir les fins de mois pour sortir de la dèche récurrente qui frappe la middle class américaine, mais sans plus…
Jusqu’au jour où Jimmy est viré, où son ex lui apprend qu’elle et son nouveau compagnon vont déménager. Là, il faut agir. Vite. Jimmy va donc monter un casse. Avec son frangin manchot, sa sœur experte en bagnoles. Un petit casse de rien du tout, piquer la recette d’une course de voitures comme il en pullule aux États-Unis, patrie des V8. Sauf que
- le seul qui peut les aider à monter cette opération est en prison
- ils n’ont aucun moyen, pas d’argent, pas de technologie
- les travaux dont ils comptaient profiter pour opérer sont terminés plus tôt.
Et ils se retrouvent à dérober le chiffre d’affaires de la Nascar CocaCola 600 qui a lieu durant le Memorial Day.Et là, les choses se corsent considérablement.
The Laundromat : quand Soderberg s’attaque aux Panama Papers …
Reconfigure les codes du film de cambriolage
À partir de cette intrigue, Soderberg met en place une mécanique bien huilée, riche en rebondissements, en surprises, en gags, et en bonne musique … à cette nuance près que ses personnages n’ont plus rien à voir avec les Arsène Lupin d’Ocean ; ici il s’agit de péquenauds, de braves gars sans véritable formation, purs produits de l’Amérique profonde, dont le parcours, le caractère et les répliques rappellent parfois ceux des héros des frères Coen. Seulement voilà : nécessité fait loi. Face à l’adversité de conditions peu favorables, chacun des membres de ce gang de bras cassés va révéler des aptitudes, des talents insoupçonnés qui pourraient bien mener au succès, et avec élégance encore ! À moins que la poisse, tenace, ne s’invite encore au moment le plus inattendu ?
Servi par un casting de choix où l’on trouve Channing Tatum (acteur fétiche de Soderberg) dans le rôle leader de Jimmy, Daniel Craig en spécialiste ultra peroxydé du défonçage de coffre-fort à coup de bonbons, Adam Driver dans celui du frangin manchot mais réactif, sans compter tous les autres qui tiennent la cadence de ce récit trépidant, ce nouvel opus reconfigure les codes du film de cambriolage grandiose, en le calquant sur le côté populaire du classique de Mario Monicelli Le Pigeon. Ce regard à la fois ironique et attendri sur ces laissés pour compte du rêve américain est révélateur de ce qui se trame dans les classes moyennes du pays à l’heure de la décevante présidence Trump.
Car peu importe son origine, son éducation, l’être humain est doté d’un cerveau, un cerveau abruti par les pubs, les diktats de la consommation, le manque de culture certes, mais qui, face à l’adversité, peut très vite se remettre en marche, et se montrer ultra créatif, sans y laisser ses valeurs, son éthique, sa vision des choses. Cela s’appelle tout simplement du bon sens. Et c’est le message finalement plein d’espoir de Logan Lucky.
Et plus si affinités