The Long Shadow: de la traque de l’Eventreur du Yorkshire et de ses dommages collatéraux

The Artchemists The Long Shadow

Le true crime a beau inonder nos écrans, rares sont les œuvres qui parviennent à transcender le simple fait divers pour devenir une exploration profonde et viscérale de l’âme humaine. The Long Shadow, série anglaise produite par ITV, s’inscrit précisément dans cette lignée. Fondée sur les meurtres tristement célèbres de Peter Sutcliffe, surnommé l’Éventreur du Yorkshire par la presse, elle se distingue par son traitement rigoureux, son approche émotionnelle, loin des clichés sensationnalistes habituels. Car en racontant la traque de ce tueur, la série veut mettre en avant ses dommages collatéraux. Et elle y parvient remarquablement.

Erreurs stratégiques et biais sexistes

The Long Shadow revient sur l’une des affaires criminelles les plus traumatisantes de l’histoire britannique : entre 1975 et 1980, dans le nord de l’Angleterre, Peter Sutcliffe, routier de son état, a sauvagement assassiné treize femmes, en agressant plusieurs autres, plongeant ainsi toute une région dans la terreur et la colère. Il faudra plusieurs années et un travail de fourmi aux enquêteurs pour enfin l’arrêter.

Scénarisée par George Kay d’après le livre Wicked Beyond Belief de Michael Bilton, réalisée par Lewis Arnold à qui l’on doit par ailleurs l’excellent Des, la série s’attache à retracer non seulement les crimes, mais aussi leurs répercussions sur les victimes, leurs familles, les détectives également ainsi que les communautés touchées. Récit policier d’une précision d’horloge suisse, The Long Shadow met également en lumière les dysfonctionnements de l’enquête, marquée par des erreurs stratégiques et des biais sexistes, qui ont permis au tueur d’agir pendant des lustres sans être inquiété.

Victimes conspuées et marge d’erreur

C’est que ses victimes sont initialement des prostituées. En cette période de crise économique impitoyable (Thatcher est en passe de prendre le pouvoir), les femmes au chômage, souvent des mères abandonnées par leurs compagnons avec plusieurs enfants à charge, n’ont d’autre recours pour survivre que de vendre leur corps. Ignorées au mieux, méprisées, conspuées par la bourgeoisie et la police qui les considèrent comme des criminelles, elles ne bénéficient d’aucune protection, d’aucune clémence. En d’autres termes, elles l’ont bien cherché.

Pour la hiérarchie policière, ce ne sont pas des victimes à prendre en compte en priorité. On laisse donc plus ou moins faire, jusqu’au jour où l’Éventreur s’en prend à une jeune fille honnête qu’il massacre. La peur alors se répand comme une traînée de poudre, l’approche des policiers doit impérativement changer. Eux qui n’ont aucune notion de ce qu’est un tueur en série, qui n’y connaissent rien au profiling (discipline qui n’existe pas encore), qui n’ont ni ordinateurs ni algorithme pour trier les milliers d’informations recueillies, vont devoir s’adapter, improviser. Avec la marge d’erreur que cela implique.

Une réalisation, sobre mais puissante

Cette incompétence institutionnelle va coûter des vies : plusieurs fois interrogé, Sutcliffe échappe aux investigations, continuant à tuer en toute impunité, tandis que le nord de l’Angleterre, son territoire de chasse, s’enfonce dans un climat de terreur et de suspicion. L’une des grandes forces de la série réside d’ailleurs dans sa capacité à recréer l’ambiance qui règne alors. Les décors, les costumes, les dialogues mêmes campent un univers à la fois gris et oppressant, reflet d’une société en quête de repères.

Cette attention au détail ne sert pas uniquement à reconstituer l’atmosphère des 70’s finissantes : elle nous invite à comprendre les conditions sociales et culturelles qui ont permis à pareil tueur en série de sévir si longtemps sans être inquiété. Servie par une distribution de qualité, des performances magistrales, la réalisation, sobre mais puissante, joue sur les silences, les regards, les non-dits pour capturer l’intensité dramatique de chaque scène, traduire l’onde de choc ressentie par une population confrontée aux démons d’un homme.

Une perspective militante

The Long Shadow n’a pas besoin d’effets gore pour marquer ses spectateurs : l’horreur réside dans la banalité du mal, l’indifférence d’un système dépassé. Nulle glorification morbide des actes du meurtrier : la perspective est volontairement empathique, pour ne pas dire militante. Le mépris institutionnel envers les femmes, notamment les plus vulnérables, est intolérable, débouchant sur des manifestations féministes qui font écho à notre époque. En mettant en lumière les erreurs du passé, la série soulève une question essentielle : avons-nous réellement appris de ces tragédies ?

La violence contre les femmes et les inégalités sociales demeurent des réalités persistantes. The Long Shadow agit ainsi comme un rappel poignant et nécessaire des dangers de l’indifférence, de l’inaction. Cet excellent true crime dépasse son genre pour inviter le spectateur à s’identifier, à réfléchir sur les dérives d’une société masculiniste et rétrograde où on privilégie l’économie par rapport à l’humain. La série s’avère incontournable pour quiconque souhaite comprendre non seulement un crime, mais aussi les mécanismes qui le rendent possible.

Et plus si affinités ?

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Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.