Que se passe-t-il quand on arrive à la retraite et qu’il manque des trimestres pour toucher sa pension ? Eh bien on en retrouve trace vite fait bien fait. Sauf que dans le cas de Serge, les traces sont disséminées un peu partout en France. Du coup ce vieux boucher un peu frustre est obligé d’enfourcher sa Mammuth antédiluvienne pour partir à la chasse aux fiches de paye manquantes. Et bien évidemment son circuit de collecte va vite prendre les allures d’un périple dans le passé.
Un périple dans les tréfonds de la mémoire, un portrait d’homme et l’opportunité de régler les comptes avec une société malade qui a enfermé les personnes dans le cercle vicieux du travail forcé. Tandis qu’il court après ses justificatifs, Serge remonte le temps et le mince fil des espoirs déçus, avec en prime le fantôme de son amour de jeunesse qui surgit des limbes pour lui secouer les miches. Une épouse acariâtre, un pote mécano, une nièce attardée, rien de bien brillant en somme, … sauf qu’avec Benoît Delépine et Gustave Kervern au scenar et à la real, le processus s’inverse pour notre plus grand bonheur.
C’est que les trublions de Groland ont de la poésie et de la jugeotte en réserve bien planquées dans leurs stylos. Du coup Serge le Cromagnon, incarné par un Depardieu chevelu et mutique, va kilomètre par kilomètre reconquérir cette humanité qu’avait annihilé des décennies de boulot à la chaîne à découper des pourceaux. La compagne aigrie redevient l’amour du quotidien, la petite nièce simplette une artiste brute au regard doux et précis … et la violence castratrice du monde du travail ressort de ce tableau comme un coup de poing.
Seul échappatoire : le rêve, l’art, le farniente, la contemplation du monde. Ne rien faire, pour enfin se retrouver, se recomposer. Le discours irrigue le répertoire de ces messieurs qui en explorent les nuances dans d’autres opus comme Le Grand Soir, Louise-Michel ou Near Death experience. Autour d’eux une équipe d’acteurs, dont on perçoit la cohérence :Yolande Moreau, drôle et touchante, Miss Ming alanguie et visionnaire, Benoit Poelvoorde en chercheur de trésor névrosé, et Isabelle Adjani belle revenue de l’au delà pour évoquer la jeunesse et les rêves égarés.
On aime, on aime beaucoup, parce que la narration est accrocheuse, l’écriture ironique sans tomber dans le graveleux, le propos pertinent et nécessaire, le jeu des acteurs impeccable, intimiste, tout en pudeurs, les situations absurdes mais les sentiments tendres. Mammuth est un road movie à la française, une fable moderne qui semble candide mais qui en dit finalement très long sur le grotesque de notre monde, d’une manière intelligente et originale.
Et plus si affinités