Séguier vient de publier les Mémoires de Jean Charles Tacchella qui couvrent plus d’un demi-siècle de cinéma, vécu de l’intérieur, en tant que « professionnel de la profession », d’abord comme journaliste spécialisé, puis comme scénariste, enfin comme réalisateur.
Cinéphile dès l’adolescence, le jeune Tacchella est engagé à la Libération comme journaliste dans l’hebdomadaire spécialisé L’Ecran français. Il y côtoie des plumes comme Nino Frank, qui s’était déjà illustré avant-guerre par ses écrits (cf. la revue Bifur) et à qui on doit le concept de « film noir », Roger Vitrac, Georges Sadoul, Roger Leenhardt, Denis Marion, Pierre Kast, Alexandre Astruc. Il est amené à se rendre régulièrement à la Cinémathèque d’Henri Langlois, avenue de Messine, où il déniche des photos de films anciens lui permettant d’illustrer ses articles et où il croise Lotte Eisner, qui a voué sa vie au cinéma expressionniste et aidé le « dragon » à obtenir de cinéastes comme Fritz Lang quantité de trésors, films et matériel « non film » confondus. Ainsi que Mary Meerson et… Musidora. Tacchella devient le collègue et ami d’André Bazin, qui écrit ce que lui avait « envie de lire » et celui de Roger Thérond qui, avant de devenir le magnat de la presse qu’on sait, est engagé dans l’hebdomadaire écranique.
Il fréquente les studios comme celui de Saint-Maurice où Cocteau termine La Belle et la bête, se lie avec Alexandre Trauner, avec Denise Glaser, à l’époque secrétaire de rédaction au journal La Rue, avec Stroheim qu’il retrouve pour de passionnantes conversations dans des bars d’hôtels, Anna Magnani, en ménage avec Rossellini au Saint-Raphaël (palace auquel restera attachée Isabella Rossellini), Vittorio de Sica… Il ne comprend pas le refus de de Gaulle de célébrer le cinquantenaire du cinéma [on saura par la suite que les Lumière avaient contribué à des publications pétainistes, NDR]. Il fonde avec Bazin, Astruc et Claude Mauriac le ciné-club Objectif 49 (qui tentera de concurrencer Cannes avec le festival du Film maudit de Biarritz) et crée avec Henri Colpi la revue Ciné Digest, avant d’écrire le scénario de films comme Les Héros sont fatigués (1955), Typhon sur Nagasaki (1957), La Loi c’est la loi (1957), Voulez-vous danser avec moi? (1959). Il travaille occasionnellement comme gagman pour Pierre Braunberger et également comme auteur de feuilletons télévisés et de pièces de théâtre.
A la fin des années 60, il passe à la réalisation, d’abord d’un court métrage, Les Derniers hivers, puis, de longs, dont l’incontournable Cousin Cousine (1975). De l’ouvrage et de ce qu’on croit savoir de l’homme, on retient sa simplicité, sa facilité d’accès, son aisance à aborder l’autre, quelle qu’en soit sa notoriété (Capra, Renoir, Epstein, Pagnol, Painlevé, Cocteau, Guitry, Cousteau, Wilder, Welles, Truffaut, Rossellini, Magnani, Arletty, Brassens, Gréco, Aragon, Laurel et Hardy, Chico Mars, Lena Horne, France Roche, Maurice Ronet, John Wayne, Marie-Christine Barrault, Fossey, Pisier, Bacri, Frot, Toscan, etc.) ; son dévouement pour la cause de la Cinémathèque qu’il n’a cessé de soutenir en tant qu’administrateur puis comme président (au moment du déménagement à Bercy et de la transformation de l’association loi de 1901 en établissement public). La partie la plus intéressante de l’ouvrage est l’aspect humain qui ressort de ses liens avec les autres et de rapports plus privilégiés avec des cinéastes, des comédiens (preuve en est : il épousera Liliane Maigné, dont il divorcera au bout de quelques années), des techniciens du film et des critiques comme Jean George-Auriol, le fondateur de la mythique Revue du cinéma.
L’explosion de la presse, au lendemain de la guerre, et les restrictions du papier sont décrites ainsi que les ruses pour se fournir en matière première chez Hachette. C’est le temps des tickets de rationnement y compris ceux donnant accès à la cantine de la rue de Réaumur. C’était fraternel : on se serrait la ceinture et aussi les coudes. Stroheim, qu’il rencontrait dans des bars d’hôtel, le faisait rire lorsqu’il pleurait sur commande en se frottant discrètement les cils. Il a joué un rôle déterminant dans sa carrière en insistant auprès du jeune journaliste sur l’importance du scénario et en prenant pour exemple à suivre le prolifique auteur de scripts Mark Hellinger. Bazin le ramenait à l’hôtel sur sa motocyclette après le dernier métro et le long débat entre cinéphiles qui succédait inévitablement à une tardive séance de cinéma.
Humblement, Tacchella porte sur lui-même un jugement rétrospectif lorsque, ayant rappelé son refus de participer au Cahiers du cinéma créés par Bazin pour passer à une activité différente, il écrit : « J’avais pour moi d’être au courant de tout (je lisais une multitude de journaux du monde entier) et j’aimais le contact avec les créateurs. Je crois que j’étais chroniqueur (mes films aussi ?). » C’est cette chronique du mundillo du 7e Art durant toute la deuxième partie du XXe siècle que Jean Charles, avec et sans trait d’union, nous livre dans son livre.
Et plus si affinités