A la source, nous y sommes allés pour visiter l’exposition du moment, consacrée au nu masculin et dont tous les média se font l’écho avec force émerveillement. Mais la vérité nue, c’est ailleurs que nous la trouverons.
Masculin / Masculin. L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours
Comme son nom l’indique, cette exposition explore la thématique du nu masculin dans la peinture et la photographie des deux derniers siècles, se concentrant plus principalement sur les difficultés que ce sujet connut pour s’imposer face à la nudité féminine. Ce ne fut du reste pas toujours le cas, et à la Renaissance, c’est le corps masculin qui posait les bases de l’esthétique, ensuite progressivement relégué aux oubliettes par la plastique de ces dames. Il a alors fallu l’obstination de certains artistes pour sortir ce dérangeant cadavre des placards.
Dérangeant car ô combien ambïgu, surprenant …et malhabile ! Aseptisée par l’académisme et l’hygiénisme, la nudité masculine se voudrait ici virile et dégagée, mais on la sent quand même mal à l’aise et pas forcément bien dans sa peau quand elle s’expose. Une attitude, un regard, une nuance de peau, … le charme est là, le désir d’affirmer sa force, sa présence, son aura, mais c’est quand même mieux avec un voile pudique, aussi infime soit-il.
Les choses semblent se détendre, si je puis m’exprimer ainsi, avec le XXème siècle : en témoignent les clichés très scénarisés de George Hoyningen-Huene, les corps torturés de Bacon, l’abandon progressif, aguicheur et légèrement moqueur des modèles de David La Chapelle ou Pierre et Gilles. Il ressort néanmoins de l’ensemble du parcours une certaine maladresse dans le traitement du sujet, une pudeur de la part des artistes convoqués, un désir d’idéalisation, qui en dit long sur la place délicate de l’homme dans nos sociétés.
Allegro Barbaro. Béla Bartók et la modernité hongroise 1905-1920
Pas très convaincus par ces académies, nous dirigeons nos pas vers les étages, tant qu’à être dans l’enceinte du bâtiment, autant aller jeter un coup d’œil à l’autre expo, reléguée au dernier étage, dans des salles de plus petit volume. Au programme, la relation entre le compositeur Bela Bartok et les peintres hongrois de son époque.
Allegro Barbaro ou si l’on traduit mot à mot, le barbare enjoué. D’un terme de technique musicale, nous voici réfléchissant au bonheur dans le refus des préceptes de civilisation ? Et soudain en entrant dans la salle, on balance tous ces principes désuets au panier, car ici de toile en toile, portrait après paysage, mélodie après composition, c’est un rejet complet, total et jubilatoire des académismes que cinq étages plus bas, les nus masculins s’efforçaient de respecter comme pour se faire pardonner leur audace.
Et nos hongrois de se faire écho, de couleur en tonalité, pour faire résonner regard et écoute au même diapason de la jeunesse libérée et avide de vie. Gourmands et irrévérencieux, ils capturent la réalité, la retranscrivent à leur façon, imposant leur conception à grand coup de pinceau, tandis que le piano fracasse les cadences. Du jaune, du vert, du bleu, du chair, du rouge, doucement les contours s’effacent tandis que la chaleur des tons hérités des broderies traditionnelles demeure, émerge le genre Fauve tandis que les compositions de Bartok se structurent autrement.
Le parallèle prouve de façon absolue ce jeu à l’œuvre quand des artistes de différentes expressions se retrouvent, échangent, partagent ce dialogue si particulier entre l’image et la musique, cette même manière de poser la couleur sur la toile, la note sur la partition, cette similitude entre le mouvement de l’harmonie et le geste ébauché par le trait, soutenu par la nuance … On reste sans voix notamment devant les travaux de Róbert Berény, la peinture de József Rippl-Rónai, les toiles de Odon Maffy… et l’on ressort de là la joie à l’âme en se disant que les vraies mise à nue ne sont jamais celles qu’on pense.