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Il y a quelques jours, je me lançai dans un article sur la fin du rock. Un brin désabusée, la Padmé, de ne plus ressentir cette sensation d’exultation à l’écoute des trop nombreux morceaux qui engorgent sa boite mail et autres canaux de diffusion. J’y allais donc de ma petite bafouille pleurnicharde quand soudain miracle : au fil d’une enième exploration du web, je tombe par hasard sur Art d’Ecco. Et mon discours funèbre de partir direct à la poubelle.
Un je ne sais quoi de luciférien
Un gars ? Une fille ? Un ange ? Depuis ses premières compos, le canadien Art d’Ecco se joue du genré pour mettre la barre un niveau au dessus. David Bowie, sors de ce corps ? Surtout pas ! Look androgyne, perruque à la Louise Brooks et maquillage à la Cabaret dans un premier temps, allure androgyne et chevelure peroxydée par la suite, maintenant complet dandy faussement sage à la Jacques de Bascher : Art d’Ecco réinvente son personnage au fil des albums.
Day Fevers (2016), Trespasser (2018), In Standard Definition (2021), After the Head Rush (2022) : ce compositeur pour le moins inspiré joue avec les codes du glam, du post-punk et de la synth-pop, mais il y ajoute un je-ne-sais quoi de moderne, de christique, de luciférien. Orchestrations luxuriantes, rythmiques ciselées, paroles mordantes, ses chansons s’imposent comme autant de manifestes sonores mêlant crise intérieure, sophistication et défi.
Décloisonnement express
New wave ? Rock indé ? Funk ? Disco ? Who gives a shit ! Place au décloisonnement express, au grand mélange amoureusement réalisé, avec un talent fou, une voix planante, des grooves hypnotiques : Art d’Ecco trace sa route hors des sentiers battus avec pour mots d’ordre l’élégance, l’authenticité, la sensibilité. Un peu d’ange déchu, une touche de Dorian Gray, une volonté d’aller au fond des choses, fussent-elles dangereuses et mortifères. Tout juste sorti, son nouvel album Serene Demon enfonce le clou, baroque, débridé, avec ses introspections racées qui tournent au cri de rage.
L’esthétique est partie intégrante du projet. Comme Marc Bolan ou David Sylvian, Art d’Ecco repousse les frontières de la performance (avec des références cinématographiques constantes, incluant Alain Delon, Robert Mitchum ou Bob Fosse). Sa voix navigue entre douceur du velours, dureté du métal. Son chant, mélancolique et aérien, rappelle David Bowie, déjà cité, mais aussi Bryan Ferry ou John Lennon. Son timbre joue sur des textures contrastées : tantôt vaporeux et hypnotique, tantôt incisif et habité. Ce jeu vocal reflète l’impact dramatique de ses compositions, où chaque inflexion semble raconter une émotion différente.
Un kaléidoscope d’humeurs
Dans Serene Demon, cette dualité s’affirme nettement, oscillant entre murmures fantomatiques et envolées viscérales. L’album déploie une richesse instrumentale rare : cuivres, marimbas, steel-drums et congas viennent habiller des morceaux qui flirtent avec le disco, le rock progressif et l’electro-pop. Le titre phare, « Serene Demon », s’étale sur plus de sept minutes, conclu par une fin glorieuse, véritable cassure stylistique assumée, savourée. « Tree of Life », lui, fait vibrer les ondes avec un groove à la Bee Gees revisitant l’indie moderne.
Rien n’est figé, tout est mouvant, chaque titre dérange autant qu’il fascine. Une constante dans cette créativité prolixe où les morceaux de bravoure abondent : « Palm Slaves », « Desires », « The Traveller », « Dark Days », « I’m the dancefloor », « Last in line », « Nobody’s home »… La liste est anachronique et incomplète. Chacun.e en écoutant ces albums, y trouvera un reflet de soi-même. L’œuvre de bout en bout est conçue comme un kaléidoscope d’humeurs, d’émotions, de ressentis. Un attrape-cœur à géométrie variable.
Alors que le rock peine à se réinventer dans une industrie en quête de formatage, Art d’Ecco joue la carte de l’outsider flamboyant. Il s’affranchit des catégories, réconcilie les puristes et les aventuriers du son, impose son style avec une énergie brute et une ambition folle. En marge des circuits mainstream, il s’épanouit et c’est très bien ainsi.
Pour explorer l’univers mélodique d’Art d’Ecco, consultez son site web, sa page Instagram et son compte Bandcamp.
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