Nouveau crush musical pour Rebeka Warrior qui s’entête à nous surprendre par l’étendue de son putain de talent. Gourmande et inspirée, la gueuse vient d’éditer sous forme d’EP la musique composée pour le spectacle Showgirl. Et franchement, ça a du chien !
Mettre en musique l’histoire de Nomi et d’Elizabeth
À l’origine de cette galette aussi hypnotique qu’empoisonnée intitulée sobrement « Showgirl – The Play », Showgirls: un accident de parcours cinématographique dans la carrière du réalisateur Paul Verhoven. Nous sommes en 1995, au vu des résultats miteux du box office, le papa de Total Recall, Basic Instinct, Starship troopers et plus récemment Benedetta, pense avoir accouché d’un bide, bide qui va devenir une icône majeure de la culture queer. Un film culte donc, dont se saisit la performeuse Marlène Saldana et son complice Jonathan Drillet pour en décliner une version solo, sans « s » donc, et sur scène.
L’occasion de raconter l’histoire de Nomi Malone, héroïne échouée dans les bas-fonds de Las Vegas, et de son interprète Elizabeth Berkley, victime du système hollywoodien, en y mêlant l’esprit du Beckett de Oh les beaux jours. Bienvenue en Absurdie, les chéris ! Pour appuyer ce spectacle schizophrénique dont la belle Marlène interprète tous les rôles, il fallait une bande son à décoiffer les dieux. Petit message sur le répondeur de Rebeka Warrior (qui débute du reste l’EP) dont on connaît les faits d’arme au sein de Sexy Sushi, Mansfield.TYA, Kompromat, ainsi que le goût prononcé pour les collabs fructueuses (dernières en date, Fishbach et LIO, à découvrir sur le label Warriorecords). Et c’est parti !
Incantation de sorcière et lente crucifixion
Résultat : 6 tracks qui sentent leur incantation de sorcière, autant d’échos d’une détresse profonde, d’une perdition de l’âme, d’une rage viscérale. Ne vous laissez pas avoir par cette techno faussement joyeuse ; comme d’hab chez Rebeka Warrior, chaque son, chaque parole reflète l’effondrement de soi, la quête impossible d’une reconnaissance qu’on nous tend comme une carotte avec laquelle on nous encule finalement sans vaseline, sans plaisir. Une atmosphère épaisse, sirupeuse, haletante, étouffante, juste parfaite pour souligner la lente crucifixion de Nomi/Elizabeth sur sa barre de pole danse.
Une course frénétique au fric, au succès qui termine dans la crasse, le cul et les désillusions. Rebeka Warrior met ainsi en cadence une anti success story aux accents universels, intemporels. C’est que l’american way of life et ses mensonges se sont exportés. Du coup, « ce qui se passe à las Vegas reste à Las Vegas » pourrait très bien se décliner sur un dancefloor de la banlieue de Beauvais, dans un club échangiste de Montpellier. Splendeurs et misères de la féminité bafouée, exploitée, sanctifiée ?
Réinvestir le champ de l’émotionnel
Au travers de cet EP et du spectacle qu’il illustre, le trio Rebeka Warrior – Marlène Saldana – Jonathan Drillet démontre qu’il reste encore un embryon de vie culturelle alternative et rebelle dans un univers dévasté par la marchandisation de l’intelligence, l’effacement de l’esprit critique, l’obsession des conventions sous couvert de rayonnement sur le social media. Chimères. « Le bon goût, c’est l’ennemi de la créativité » explique Marlène Saldana, à raison.
Alors que le rouleau compresseur des GAFAM nous écrase le cerveau, nous enferme dans des modèles insupportables d’authenticité factice, manipule nos orientations, nos choix, nos émotions, Showgirl s’offre une BO d’exception pour réinvestir ce champ de l’affect et du sensoriel gangrené par les algorithmes et les émojis. Marketing émotionnel, dehors ! Vive le spectacle total, tel que le rêvait Artaud du fond de sa folie. Et là, on se demande ce qu’aurait donné la collab entre Antonin le dingue et Rebeka l’indomptable. Du révolutionnaire, pour sûr !
Et plus si affinités
Vous pouvez écouter/acheter l’EPShowgirl – The Play sur la page Bandcamp de Rebeka Warrior.