Ceux qui ont visionné Winter on fire, le documentaire dédié aux événements de la place Maidan à Kiev, se souviennent certainement de cette séquence sidérante où un vieux communiste cherche à empêcher la foule des manifestants de mettre à bas une statue de Staline, faisant écran de son corps pour protéger le colosse de métal qui finira néanmoins en morceaux. Un cas qui n’est pas isolé et qui a inspiré la série Looking for Lenin signée Niels Ackermann et Sébastien Gobert.
Un démembrement symbolique
Très clairement, l’Ukraine a signifié son refus de la main mise communiste en abattant les idoles soviétiques implantées dans tous les hauts lieux du pays, Lénine en tête. Ainsi, ce sont quelque 5000 sculptures qui ont été brisées, réduites en miettes, disloquant ainsi la main mise russe sur le territoire. Le photographe Niels Ackermann et le journaliste Sébastien Gobert ont voulu conserver la trace visuelle de ce démembrement symbolique.
Objectif : en documenter la portée et le sens, en termes de patrimoine, de gestion de la mémoire d’une nation en reconstruction. C’est ainsi que depuis 2015, ils sillonnent l’Ukraine pour retrouver les vestiges de ces titans. À la clé, des clichés frappants qui ont été exposés notamment aux Rencontres d’Arles.
Dégradation et avilissement
Les deux compères ont visité des endroits vraiment insolites, décharge, casse de voiture, retrouvant ces artefacts au milieu des poubelles et des gravats, utilisés par exemple pour caler une baignoire… Non seulement plus personne ne veut de ces vestiges d’un passé vécu comme douloureux, mais il semblerait que la dégradation, la salissure du symbole soit un avilissement supplémentaire infligé à la face du passé.
Un juste retour des choses ? Splendeurs et misères des libérateurs devenus tyrans, des conquérants agitant bien haut le drapeau de l’humanité… le devenir des sculptures d’État dit toute la haine contenue, le mépris et l’inutilité de cette main mise aujourd’hui remisée dans des hangars poussiéreux, des garages souillés, des terrains vagues…
Une approche prophétique
Un livre demeure qui garde trace de ce travail de documentation. Niels Ackermann et Sébastien Gobert y saisissent avec subtilité ces stigmates d’une décommunisation à l’œuvre, stigmates qui sont à double sens. On sait l’intérêt stratégique et économique que la Russie prête à l’Ukraine ; les géants d’airain et de marbre, brisés, oubliés, n’en sont pas moins là, tapis dans l’ombre, comme autant d’espions silencieux.
Des spectres avides de revanche ? À Odessa, nos deux compères saisissent le travail de l’artiste Alexander Milov qui a transformé une statue de Lénine … en Dark Vador. Tout est dit. Et singulièrement prémonitoire pour ne pas dire prophétique.
Et plus si affinités