La MPAA (prononcez la MP2A ou, si vous voulez, Lampedusa) avait donc fait le plein en programmant la dernière création (en date) d’Olivier Dubois, Les Mémoires d’un seigneur, avec, dans le rôle-titre, Sébastien Perrault, et, dans celui de la plèbe, une trentaine d’hommes de tout âge, de tout poil, plus motivés les uns que les autres.
La petite annonce passée il y a un certain temps déjà par la Maison des pratiques artistiques amateurs (sans “e” au deuxième adjectif) disait : “On recherche trente hommes, danseurs amateurs… pour envahir le plateau des Mémoires d’un seigneur et faire écho à l’Homme Seul, le seigneur-danseur Sébastien Perrault”, et précisait par ailleurs que les recrues seraient 30 hommes “de 18 à 70 ans”, disponibles “en soirée la semaine du 15 février” ainsi qu’une semaine “restant à déterminer”, que les représentations auraient lieu les 18 et 19 février 2016 à 20h” et leur prestation serait une “participation gratuite” – pour la beauté de l’art, en quelque sorte.
Mentionnons-les, ils le méritent, ces volontaires, bénévoles, “guerriers de la beauté”, comme dirait l’autre – pour qui se croit au dessus du lot et se range généralement du côté du manche, un homme ne saurait d’ailleurs être que va-t-en guerre, martial, conquérant ou rien : l’anonyme de service qui alimente la foule ou le populo, qui, comme dans le cas présent, fait bien dans le décor, comme “accumulation” façon César ou Arman : Cédric Aguillon, Gabriel Bardaux, Michel Barreiros, Fabien Bousquet, Stanislas Briche, Laurent Carton, Ludovic Chambe, Benoît Coquil, Jean-Baptiste Damiens, Fabien De Chavanes, Axel Dupont, Cédric Fabre, Jeremy Flaum, Grégoire François, Jean Fürst-Esch, Benoît Gobin, Daniel Hortelano Sanchez, Gaël Lambin, Frédéric Lapinsonnière, Jean-Max Mayer, Quentin Moriot, Jean-Michel Muretti, Antoine Neufmars, Jeanjac Pabion Debaret, Florent Pommier, Mathieu Ricard, Pierre Romero, Frédéric Salles.
Ça eût payé. Et on eût aimé aimer. Les trente danseurs amateurs sont très bien, du reste, la question n’est pas là. Idem pour ce qui concerne le pro de la profession, l’intermittent ou pas du spectacle, qui se révèle parfait dans tout ce qu’il lui a été demandé de faire, qui donne de sa personne, du début (ou presque) à la fin, y allant avec allant – et en avant comme avant! –, qui ne regarde pas à la dépense, s’affirme excellent comme comédien (la danse dite contemporaine ayant, il est vrai, une certaine propension à mimer le théâtre), mais aussi comme cascadeur, comme athlète, inépuisable, inessoufflable. La Lumière de Patrick Riou, itou, qui joue savamment du clair-obscur, sculpte l’espace et masque le minimum syndical pour ce qui est de la scénographie, réduite à la fabrication ou à l’amplette d’une lourde table genre de bureau. La table, soit dit en passant, aussi est très bien.
Le problème qu’on se doit de poser si on veut rester un minimum crédible – inutile de tourner autour du pot –, est celui de l’urgence, de la nécessité, du besoin qu’il y avait à réquisitionner ces danseurs du “chorus” (sans parler de leurs proches ou des membres de leur famille venus les soutenir dans l’épreuve et les admirer), un théâtre en état de marche, équipé, appareillé et on ne peut mieux situé, par conséquent méritant ce qui se fait de mieux en danse – amateur ou pas, les contribuables parisiens à notre humble avis ne se posent pas ce genre de question, et on n’y voit pas grand monde qui soit en tenue de gala, de tanguero ou de tanguera, d’adepte de salsa ou de samba – pour donner, finalement, quelque chose d’aussi ballot, et afficher des intertitres anodins et un monologue conclusif enfilant les perles du lieu commun là où on est en droit de s’attendre à du haut niveau – du niveau international, autant que possible. Six parties dont les titres sont vidéoprojetés au fur et à mesure, soit trois de plus que celles annoncées par la feuille de salle, structurent l’heure que dure la pièce : Le Temps, L’Ordre du monde, La Civilisation, Le Petit théâtre, Le Chant de la guerre, L’Adieu.
De temps à autre, l’ingéson pousse les décibels à fond les manettes et fait en sorte que la B.O. redonde avec le live – à moins que ce ne soit l’inverse, que le soliste et sa chorus line suivent le tempo du playback. La course infinie, le morbide agglomérat de corps torse nu, le vicieux cercle des vivants et des êtres zombiesques aux mouvements concentriques ou centrifuges, les ralentis et l’effet contraire, les accélérés, les sauts entrecoupés de chutes, tout cela est certes bien planifié et exécuté, rythmé juste, agencé comme il se doit, amené au bon moment. Reste la question, essentielle, de la forme, “mi-boléro, mi-sacre” qui ne suffit plus, de nos jours, selon nous, à le faire.
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur ce spectacle, consultez le site de la MPAA ou celui des Ballets du Nord d’Olivier Dubois.