Loin des grands frissons, des passions que l’Opéra de Lyon nous permet de ressentir habituellement, ce soir le style est enfantin, joyeux, détendu. Ce sont les animaux de la forêt qui s’activent sur scène, c’est la neige qui apparait, la musique de Janacek qui nous berce.
Inspiré du roman Liska Bystrouska de Tesnohlidek, La petite renarde rusée nous emmène découvrir ses péripéties. Les hommes et les bêtes s’agitent, chacun de son côté, parfois ils se rencontrent, ils se regardent, ils se touchent mais ne peuvent communiquer. Il ne faut pas trouver par cette personnification des animaux une morale, on n’est pas ici avec Esope ou La Fontaine. Vouloir recevoir un enseignement, ce serait perdre nos yeux d’enfants devant cet univers merveilleux. Voir ces animaux, c’est se rendre compte de l’altérité, découvrir l’autre dans sa différence. Cependant ces deux mondes si différents qui cohabitent sont ils vraiment inaccessibles ? On y voit une simple et modeste morale, animaux et hommes partagent une destinée : « celle de désirer, s’accoupler, vieillir, mourir, tuer » selon les mots de Jacques Drillon.
Le génie de Janacek repose dans cette accessibilité hors norme. La musique fait de simples moments ordinaires comme une simple discussion entre trois hommes un vrai moment d’opéra. Cette musique est au service de ce monde onirique, le pari fou de ce compositeur est de réussir à retranscrire les bruits des animaux, mais aussi des sonorités si particulières à l’univers de la forêt. Janacek réussit par exemple à nous faire entendre la ronde des mouches grâce à un orchestre.
La mise en scène de André Engel quant à elle nous enchante par la beauté de ses décors, et l’intelligence des costumes. Une ribambelle de renards habillés simplement en orange apparait au milieu d’un champ de tournesols. Les yeux grands ouverts, on se laisse aller par l’histoire, on s’imagine renard, on voudrait s’approcher de ces tournesols. Fermons les yeux quelques instants, nous sommes éblouis par un vent de fraîcheur.
Cependant Janacek n’est pas romantique, bien au contraire. Chaque envolée lyrique s’arrête net, une déclaration d’amour au clair de lune si étrange ne nous donne pas envie de pleurer. En ce sens le compositeur s’oppose à la tradition de l’opéra, il s’oppose à Wagner. Ici il n’y a pas de sentimentaliste, le 19eme siècle est terminé. Plus de long discours remplis de pathos. S’opposant au « mensonge romantique » selon la formule de René Girard, Janacek réussit à nous émerveiller sans déballer de grands sentiments. C’est la simplicité qui nous touche.
La fin qui n’a rien d’une chute nous surprend. Est-ce vraiment comme ça que cela finit ? Sur une scène ordinaire qu’on pourrait presque qualifier de banale ? Pourtant n’est-ce pas là notre intérêt ultime ? Si le désir de culture est gratuit, la beauté de cet opéra repose sur son dépouillement. Cette fin nous invite même à nous demander si toute l’histoire n’était pas qu’un rêve. Cela ne doit pas nous déranger. Pourquoi toujours vouloir une fin tragique ou heureuse ? Et puis même pourquoi vouloir une fin ? Contentons-nous au moins d’un dénouement ordinaire. Finalement entre le moment où nous entrons à l’opéra et celui où nous en sortons, que s’est-il passé ? Pas grand-chose, rien d’utile à notre vie. Mais c’est certainement cette inutilité qui nous apporte, ce petit moment de rêve hors du temps.
Et plus si affinités
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