Décliner L’élixir d’amour, le célèbre opéra bouffe du compositeur italien Donizetti sous forme de film muet : voici en substance le choix de mise en scène opéré par le ténor Rolando Villazón pour l’Opéra de Baden Baden. Et croyez-le ou non, ça marche !
Le crapaud et l’étoile
Petit résumé, histoire de poser les bases : l’adorable mais insignifiant Nemorino est amoureux de la jolie Adina, qui fait fondre tous les cœurs et notamment l’irrésistible sergent Belcore. Aux grands maux les grands remèdes : désespéré de jamais conquérir sa belle et inaccessible fermière, Nemorino décide d’acheter un élixir amoureux. La belle va-t-elle céder à la magie ? Non ? Oui ? Car ce que Nemorino ne sait pas, c’est que le soi disant remède miracle n’est autre que de l’alcool vendu par un charlatan. Autant vous dire que le résultat va être surprenant … et plutôt réussi.
Schéma classique du petit crapaud qui cherche à charmer une étoile et y parvient par des voies détournées, morale attendue sur le dépassement de ces bon dieu d’apparences : à partir de ce poncif du conte de fée et d’un livret inspiré de celui d’Eugène Scribe pour Le Philtre de Daniel Auber, Donizetti a ciselé une merveille d’opéra, dédié au bel canto, où les chanteurs s’amusent, se délient, voltigent, entre acrobaties vocales et notes qui virevoltent de partout. Il n’y a pas à dire, Donizetti a sorti le grand jeu pour narrer cette fable certes datée de 1832, mais éternelle, sur le bonheur simple et le triomphe de l’amour.
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Donizetti au Far West
En solo ou en duo, avec des chœurs, la partition est riche de surprises et de morceaux de bravoure, qui offrent un pendant joyeux et subtil à la sombre tragédie de Lucia di lammermoor. Et la mise en scène concoctée par le ténor mexicain Rolando Villazón décuple l’effet en situant l’action non plus dans un petit village du pays basque mais sur le tournage d’un western, au milieu d’un décor de Far West.Nous voici d’un coup dans une ambiance où se croisent Buster Keaton, Lucky Luke, Charlie Chaplin, les Daltons et leur mère, Les 7 Mercenaires, Les Tuniques Bleues, Le Bon, La Brute et le Truand, Wild wild west …
Avec l’envers du décor, bien sûr, les dessous d’un tournage hollywoodien au temps du muet avec réalisateur à casquette, script girl, techniciens … Nickelodeon sur scène, théâtre dans le théâtre, film dans le film, la mise en abîme multiplie les effets déjà bien nourris par la rencontre de ces différents univers comiques.Le tout n’en est que plus léger et permet de redécouvrir une œuvre trop souvent fossilisée dans des représentations conventionnelles. L’ouverture de la mise en scène sur ces horizons novateurs (bien qu’exploités direct par Puccini dans La Fanciulla del west composé en 1910) libère les interprètes et leur offre un terrain de jeu qu’ils n’hésitent pas à explorer.
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Tous s’en donnent à cœur joie, pour une interprétation irréprochable et enthousiaste.Big up à Rolando Villazón pour son sens du comique (difficile de ne pas penser à Rowan Atkinson et son Mister Bean), à Miah Persson pour sa fraîche et impetinente Adina, à Ildebrando d’Arcangelo pour son personnage d’indien charlatan. Et un gros coup de cœur pour la projection du petit film muet tourné pendant la représentation. Donizetti et les frères Lumières auraient adoré.
Et plus si affinités
https://www.medici.tv/fr/operas/donizetti-lelisir-damore-rolando-villazon-pablo-heras-casado/