Orphée aime Eurydice, il l’épouse, elle meurt, il part la chercher en enfer, la ramène, la perd à nouveau. L’histoire est assez simple somme toute, qui sublime le talent du mythique poète et musicien, dont la voix et le chant ouvriront les portes de l’enfer après avoir charmé le monde humain. La grande tragédie de ce demi dieu, c’est sa part d’humanité qui l’amènera à faillir, à se retourner pour contempler son bel amour et le perdre définitivement.
C’est cette ambivalence qu’explore le metteur en scène australien Barry Kosky dans une lecture éclatante de l’opéra de Monteverdi. Une version vibrante de vie, de joie, et de douleur, qui débute dans une envolée d’oiseaux mécaniques, pour finir par la noyade du héros dans les profondeurs insondables d’une mare de jardin semblable au Styx, au chagrin sans fond qui le submerge, au torrent où sa tête finira. Entre les deux un tourbillon de couleurs, de rires, de danses, dans un décor foisonnant de jungle psychédélique signé Kathrin Lea Tag.
Ovide revu par Lewis ? Eurydice devenue Alice ? Monteverdi sous acide ? C’est à se demander, mais ce n’est pas bien grave, car cette interprétation est tellement étonnante et magnifique qu’on s’y laisse prendre dés les premières notes, adaptées par la compositrice Elena Kats-Chernin. Elle reprend le livret initial dans une orchestration plus moderne, plus cadencée, des sonorités tziganes et klezmer teintent la participation d’une ambiance de noces manouches, de fiesta jazz, d’after electro tandis que nymphes et satires se déhanchent sur le devant de la fosse avec une frénésie bon enfant.
Les voix des solistes comme du choeur collent à cette version, l’enrobent, malgré l’allemand qui ici prend le relais de l’italien initial. La traduction ne perturbe en rien le velouté des paroles, on imaginerait presque une séquelle de La Flûte enchantée de Mozart, où animaux exubérants, végétaux incroyables et lutins malicieux croisent la route d’un Orphée écartelé d’amour au point de se métamorphoser sous nos yeux en arbre dans la plus belle tradition ovidienne. Un instant à la fois magique et déchirant, tandis que les lianes fleuries déroulent de ses membres étirés par les participants qui le supplicient en cadence.
C’est que la vie comme le renouvellement de la nature ont un prix, Orphée l’apprendra à ses dépends en perturbant le cycle qui conduit sa bien aimée dans le monde des morts. La mort justement, plane ici sous la forme d’une marionnette fantomatique, squelette spectral et diaphane qui suit le héros comme son ombre. Barry Kosky accentue l’apologue inscrit dans l’intrigue d’origine, en gommant certains aspects de l’histoire initiale pour proposer une approche symbolique et décalée, farfelue, émouvante, d’une sensualité frappante, où le destin ressort comme inéluctable. La poésie et le rêve sont au rendez-vous, une certaine amertume également tandis que le rideau tombe pour clore cette féérie.
Et plus si affinités
https://www.komische-oper-berlin.de/spielplan/oper/orpheus/1827/