Opéra hautement tragique, Rusalka raconte l’amour impossible entre une fille des eaux et un prince. Devenue muette pour accéder au monde des mortels, l’héroïne va être confrontée à la trahison. Les deux univers étant incompatibles, c’est sans surprise que les deux protagonistes ne pourront s’aimer que dans la mort. Si l’œuvre de Dvorak évoque l’atmosphère féérique du conte La Petite Sirène d’Andersen, la mise en scène de Stefan Herheim, réalisée pour le Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles, propose une interprétation moderne et pessimiste du récit d’origine : Rusalka, princesse des eaux, devient une prostituée aspirant à une vie conjugale « normale ».
La continuité et de la perte
Les décors, magnifiques, décrivent une ville vivant dans l’effervescence : plongés au cœur d’une cité d’Europe Centrale, les anonymes passent et repassent au rythme de la musique, dans ce lieu en constante mutation : nous ne sommes donc pas étonnés qu’un sexshop devienne un magasin de robe de mariée puis une boucherie. Le bar sur la gauche nous rappelle Les Noctambules de Hooper passant de Lunatic à Solaris.
Certes, la lecture de Herheim nous replonge en enfance : nous sommes ébahis par la fête de l’acte 2 et sa pluie de confettis, par la princesse descendant du ciel dans sa robe à paillettes. Pourtant, dans cette cité magique, la tendresse cède la place au sexe, véritable marchandise ; les femmes se métamorphosent en dévergondées et l’héroïne finit sur le trottoir. La réflexion sur l’issue tragique de cet amour malheureux perturbe le spectateur. La belle ondine est prise au piège par l’Esprit des eaux. L’élément aquatique, représentatif du temps qui passe, symbolise par ailleurs la continuité et de la perte.
Un lyrisme sensuel
C’est ici l’occasion de méditer le caractère non réversible de la métamorphose. En effet, le personnage de Rusalka, en accédant au monde des vivants, renonce à son enfance ; en devenant adulte, elle perd son innocence initiale. Là où l’amour n’était initialement que platonique, un simple reflet, après la transformation, le retour dans le monde des eaux sera impossible. La passion ne pourra se vivre que dans le monde de la mort.
On ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre ces notes et l’œuvre de Wagner. Le lyrisme sensuel, ressort du chef-d’œuvre romantique, nous rappelle les thèmes prédominants wagnériens. L’errance dans un monde marin nous bouleverse. D’autre part, se servir d’un monde féérique presque enfantin pour traduire une réalité profonde en plus d’être un procédé souvent utilisé nous fait penser à La Petite renarde rusée de Janacek, un conte tout aussi captivant et cruel.
Clotilde Izabelle