Dans la série « Cultivons-nous en période de confinement mais pas que … », nous vous proposons aujourd’hui de visionner une enième mise en scène du chef-d’œuvre ultime de Puccini, Turandot. In space. C’est le choix du cinéaste Franc Aleu qui téléporte la cruelle princesse de légende et sa cour depuis Pékin jusque dans la galaxie. Et avouons-le, le résultat est plutôt intéressant.
Farouche donzelle et têtes coupées
Un petit pitch pour resituer l’intrigue ? Turandot est la fille de l’empereur de Chine. En tant que princesse impériale, elle doit épouser un prince. Sauf qu’elle n’en a nullement l’intention. Être un pion sur l’échiquier des alliances, être prise de force par un inconnu, aussi noble, titré, éduqué soit-il, servir de reproductrice pour assurer la pérennité du trône, très peu pour elle. Pour échapper au mariage, la farouche donzelle, fort belle au demeurant, a mis en place un redoutable système. Tout prétendant doit résoudre trois énigmes. En cas d’échec, c’est direct le bourreau.
Et les remparts de la cité impériale de se hérisser de têtes décapitées. Car malgré le danger, les candidats accourent, fascinés par cette beauté inaccessible, vagina dentata dont ils rêvent d’adoucir les crocs, de dompter la fureur cannibale. Dernier en date, Calaf, prince tartare en exil, qui vient de débarquer en ville avec son père invalide et une petite esclave dévouée. Le spectacle d’une exécution ne stoppe en rien ses ardeurs, ni les avertissements des habitants, des ministres, de Turandot elle-même. Il veut cette femme, à tout prix. Sa vie, celle des autres, peu lui importe, il aura Turandot. Qui va tout faire pour lui échapper.
Passions dévastatrices et attirances masochistes
Un vieux schéma, me direz-vous : un amour à sens unique, un homme excité par la conquête d’une femme qui se refuse, une autre amoureuse sans espoir, petite Liu qui se sacrifiera pour protéger ce prince qu’elle adule et qu’elle sait inaccessible… en composant Turandot, Puccini donne à voir les élans de l’âme, les passions dévastatrices, des attirances masochistes. Son fonds de commerce lyrique, oserai-je, une thématique qui revient dans tous ses opéras, peu importe la toile de fond, le backgroung historico-géographique. Le Japon de Madame Butterfly, la Rome de Tosca, le désert de Manon Lescaut, Paris pour La Bohème … le décor change, les sentiments demeurent, exacerbés, insupportables.
Propulser Turandot, Calaf et Liu dans les sphères n’est donc pas un problème. Nous voici dans un univers digital, où néons et vidéos démultiplient l’espace, jouent avec les ombres. Turandot n’en est que plus froide, presque robotique. Une poupée cryogénisée, évoluant dans une société digne du Métropolis de Lang, du Salammbô de Druillet. C’est aussi surprenant qu’impeccable visuellement, magnifiquement interprété au surplus par Irène Theorin, Jorge de Leon, Ermonela Jaho … avec une ultime séquence qui apporte un tout autre regard sur les préférences de l’héroïne éponyme, quand elle se penche sur le cadavre de Liu dont elle caresse la chevelure… et comprend soudain pourquoi elle exècre les hommes.