« Traiter le sujet avec retenue » ? Mais comment parler avec retenue des exactions commises des années durant par un tueur en série doublé d’un cambrioleur ultra violent, qui termina sa carrière de façon sordide en kidnappant et assassinant une riche héritière de 16 ans ? Le tout au tournant des années 70 au coeur d’une Angleterre ultra conservatrice qui s’enlise dans une crise économique gravissime et un modèle social obsolète. Pourtant le jeune réalisateur Ian Merrick relève le défi, ignorant le chemin de croix qui l’attend ; en effet La Panthère Noire sera à la fois une réussite, une malédiction et un mythe.
Tourné en 1977, le film frappe par sa retenue et son approche précise, sans jamais tomber dans le voyeurisme, le racoleur ou le larmoyant. Faute de financement, il a fallu bosser à l’économie, mais cela sert le propos. En effet, le scénariste Michael Armstrong, adepte de Shakespeare, focalise sa plume sur le personnage de Donald Neilson avec le désir de cerner cette personnalité borderline et ce qui l’a forgée. Pas évident comme démarche quand on sait que le cambrioleur et meurtrier a défrayé la chronique, focalisant la rage de ses contemporains. Autre impératif : coller au maximum à la vérité pour éviter tout procès en diffamation. Dialogues resserrés, cadres au scalpel, scènes reconstituées avec minutie, il a fallu engager des documentalistes chargés d’éplucher les minutes du procès et le considérable volume d’articles consacrés à l’affaire pour respecter la réalité, à l’égal d’un documentaire.
Et dans le même temps, il était inenvisageable de traiter l’incapacité notoire de la police et des média qui furent pour beaucoup dans le décès de la jeune fille kidnappée. Peu de répliques, pas de spectaculaire, tout porte donc sur l’image et les acteurs. Paysages de campagne anglaise noyée de pluie où l’on distingue le héros courant vers ses crimes, plans rapprochés durant les séquences de cambriolages, longs portraits sur le visage de Neilson en train de se préparer, … dans une lumière crue qui n’est pas sans évoquer les films de Romero (Martin notamment), la caméra de Merrick filme un être à deux visages qui tyrannise sa famille, mais dont les failles transparaissent en une fraction de seconde. A ce titre l’interprétation de Donald Sumpter est proprement sidérante.
Malgré son indéniable qualité, le film va connaître une succession de déboires qui débouchent sur une interdiction pure et simple. Nous sommes en 1977 quand le film est tourné, et si la scène punk, Sex Pistols en tête, commence à secouer le paysage culturel, l’ensemble de la Grande Bretagne garde les deux pieds et la tête dans le passé. Autant dire que le profil de Donald Neilson fait tâche dans ce paysage. Un ancien soldat qui s’est illustré dans les conflits post coloniaux avec un goût prononcé pour les opérations de tueries, qui ne trouve pas sa place dans la communauté, et finit par se comporter en prédateur : en un temps où l’on ignore tout des mécanismes psychiques des tueurs en série, cette personnalité terrifie d’autant plus qu’elle est incompréhensible … l’envers de la médaille, une face sombre qui évoque Mr Hyde ou Macbeth (les similitudes avec l’approche de Fassbender sont d’ailleurs multiples), et donne à voir la détresse d’une population en perte de vitesse.
La censure va opérer pendant 40 ans ou presque, reléguant le film dans les oubliettes. Une véritable omerta, qui prendra du temps à se briser ; le réalisateur et le scénariste mettront du temps à récupérer après cette expérience brutale. Pourtant prohibition et critiques vont paradoxalement tisser le mythe, faisant de La Panthère noire un incontournable, voire même un précurseur du genre. Difficile en effet en regardant les séquences de ne pas penser à un autre film culte tout aussi dérangeant à savoir Henry portrait of a serial killer de John McNaughton tourné en 1986, censuré jusqu’en 1990 et qui relate dans le même esprit réaliste le fonctionnement du tandem Henry Lee Lucas/Otis Toole. A titre d’exemple, la série Southcliffe, diffusée en 2015 et qui traite d’un épisode de massacre de masse dans un petit village anglais, démontre qu’aujourd’hui le sujet est passé dans les mœurs : pourtant il découle en ligne directe de La Panthère noire. C’est probablement dans ce décalage temporel que se nichent les racines de la légende. Interdit, conspué, caché, le film de Merrick synthétise et donne à percevoir les hontes, les angoisses, le refus, la colère d’un public déphasé, qui redécouvre l’ampleur d’une violence humaine gratuite et sans fondements autres qu’elle-même. C’est la sa force, sa pérennité.
Et plus si affinités
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