Animal terrien creusant la Terre indéfiniment en quête de protection, de chaleur et de fertilité, le Lapin est paradoxalement rattaché à la Lune, onirique, magique, funèbre et vivante à la fois. Un animal chargé de symboles et de croyances contradictoires mais complémentaires, la fécondité retrouvée d’Osiris assassiné, recomposé et rappelé à la vie par son épouse Isis, le sacrifice du lièvre qui s’immola pour nourrir Bouddha affamé, la Résurrection du Christ enfin.
Un animal craintif et puissant à la fois. Un fétiche peu évident à assumer, mais que Paul Toupet a adopté naturellement dés l’enfance, peluches, jouets, puis dessins, modelages, petites sculptures : ce totem accompagne sa vie et alimente sa carrière, orientant sa formation, ses premières créations, ses performances, jusqu’à cette exposition Hey ! Part 2 où je le rencontre, assis sur un canapé immaculé, calme en apparence, quelque peu dépassé par les évènements cependant ; il fréquente les expositions de la halle Saint Pierre depuis son enfance, et n’envisageait pas un jour de se retrouver aux côtés d’éminences telles Giger, me confiera-t-il plus tard dans la tranquillité de son atelier, son Terrier.
Le Gisant : un sacrifice, une épitaphe
Il est pourtant là, et son Gisant aussi, central dans la lumière du premier étage, auréolé d’une volute d’anges. Une installation impressionnante par le volume qu’elle requiert, tout en hauteur, en mouvements. Baroque sans conteste. Quand Anne et Julien lui ont demandé de participer à la deuxième édition de Hey ! Paul a immédiatement su ce qu’il ferait. Un an plus tard, le Gisant est là, impliquant certaines de ses créations antérieures (du coup l’atelier a été vidé d’une partie de ses occupants), supposant de nouvelles sculptures accomplies avec méticulosité (les ailes des anges ont été refaites intégralement, plume par plume – une discipline acquise à la dure école de Penninghen puis aux Ateliers Glacière des Beaux-Arts de la Ville de Paris) avec en son centre la réplique de Paul, sa projection habillée de son costume de performer, son masque reposant comme une couronne à ses pieds : un sacrifice et une épitaphe chargée de symboles et d’éléments (terre, tomettes, urne) rattachés à la maison de campagne de l’enfance et ses souvenirs, ses émotions, … le Terrier initial.
L’enterrement des rois supposait l’exposition de leur mannequin. Ici Paul enterre une première partie de sa vie d’artiste. L’œuvre est forte, car alimentée par toutes les étapes de son travail, les poupées, les mannequins d’enfant, les répliques adultes. Le pendant de sa Crèche et là aussi un paradoxe : censée représentée la naissance, la Crèche selon Paul Toupet est un lieu de doute, de dépression, de mort, tandis que le Gisant appelle à la renaissance sous d’autres auspices artistiques, dans cette formidable envolée de lapins angéliques et protecteurs. En accord avec lui-même, le plasticien a tenu à finir l’œuvre absolument : « si je meurs, ça sera fait ». Aucune peur, aucune anxiété dans ces propos, mais une assurance certaine, celle des hommes du XVIIème siècle confrontés à l’évidence de leur trépas futur, et désireux de mettre leur vie en ordre pour enfin s’accomplir.
Commedia dell’arte et Ars Moriendi
Le XVIIème siècle : il est partout dans ces statues, dans ces attitudes outrées des corps à l’extase figée (Le Caravage n’est pas loin), dans l’emploi de la cire pour saisir le mouvement des tissus, des étoffes, des matières (on pense au céroplaste Gaetano Zumbo et à ses théâtres de la mort et de la souffrance où les corps d’enfants pullulent), dans le traitement des couleurs en clair obscur qui avalent la lumière, l’éteignent, la ravivent par touches, dans le modelé des chairs, des globes oculaires, ces regards éteints, ces orbites vides, dans l’usage des masques qui viennent ajouter leur secret sur le visage des poupées.
Une étrange commedia dell’arte, aux saveurs d’Ars Moriendi. Car chaque poupée est une émanation de son créateur, une facette de son âme : patiemment modelée, agrémentée de ces longues tresses, vomissures de tissu incarnant le flot de la parole, la force des sentiments, les sanglots étouffants, ravalés pour les exhaler plus tard dans l’intimité et le secret, la véhémence des reproches, les cris de colère qu’on ne hurlera jamais car il faut savoir se tenir … est-ce ici un part du secret ? Ces statues interpellent et inquiètent parce qu’elles superposent les désirs effroyables et inassouvis de l’enfant meurtri qui sommeillera toujours en nous et ce vernis de l’adulte policé d’interdits qui doit faire front, envers et contre tout.Stoïque. Animal social qui s’interdit le naturel.
Le clair-obscur de nos cœurs
Mais il n’y a autre chose. Le travail de Paul Toupet ne peut, ne doit pas se résumer à une lecture psychanalytique aussi simpliste. Derrière son sourire et ses yeux pétillants, le sculpteur a su capter des influences multiples, art africain, art religieux, art funéraire : les capter dis-je, mais sans les avoir potassées, et c’est là qu’intervient la petite étincelle magique. Nous sommes ici devant une pure perception. Pas de bouquins compulsés à l’infini, pas de recherches frénétiques : on pense immédiatement aux momies de Palerme en regardant le Gisant ? Certes si Paul en a entendu parler, il ne les a jamais vues. On cite volontiers les corps pétrifiés de Pompéi, mais personne n’évoque la blancheur crayeuse des danseurs butoh, leurs contorsions épileptiques sous la cendre d’Hiroshima, la pâleur des acteurs de La Classe morte de Tadeusz Kantor et les tableaux surréalistes qu’ils dressent de notre vie, la tristement célèbre photo de Nick Ut shootant la petite Kim Phuc, brûlée au napalm dans un village en pleine guerre du Vietnam.
Issues de son vécu, composées de son être, les statues de Paul Toupet reflètent l’humanité dans ce qu’elle a de plus théâtral, de plus tragique, de plus malicieux, de plus tendre. Sensuelles par instant, pudiques toujours. Le clair-obscur de nos cœurs. Après avoir pris des teintes sombres ou jaunâtres, après s’être animées dans les concerts, sur les théâtres, les créations de Paul Toupet vont changer. Enfermé au chaud dans son Terrier, l’artiste est en gestation. Rieur, il n’en dit pas plus, laissant les choses se faire et son totem le guider. Prolifique. Vers la Lumière.
A suivre.
Et plus si affinités