Mouthe, Franche-Comté, le Doubs : 1200 habitants, la ville la plus froide de France. C’est dans ce bourg enneigé coincé au creux d’un vallon du Haut-Jura que le scénariste et réalisateur Gérald Hustache-Mathieu parachute l’action de son film Poupoupidou puis de Polar Park, la série qui en développe l’atmosphère. Deux sans faute attachants, ô combien, par les intrigues qu’ils racontent avec humour et émotion, les personnages décalés qu’ils campent.
Poupoupidou – 2011
Par un jour d’hiver, David Rousseau déboule à Mouthe au volant de son cabriolet Peugeot 504 blanc (le même que celui de Nestor Burma). Venu assister à l’ouverture du testament d’une parente décédée, il s’apprête à repartir quand il assiste à la découverte d’un corps enseveli sous la neige, celui de Candice Lecoeur, une star locale qui a tout d’une Marilyn Monroe franche-comtoise. Le look, les rêves, les aspirations, la vie sentimentale de merde, et le suicide ?
Quand on sait les mystères qui entourent la mort de l’iconique actrice, on ne peut que douter. Et David Rousseau, le doute, il connaît bien, vu qu’il est un auteur de polars à succès et que c’est son fond de commerce. Décidément, cette mort étrange pose beaucoup de questions ; du coup il va mener l’enquête, avec dans son sillage un jeune gendarme et le fantôme de la disparue qui lui parle par journal intime interposé. Qu’a-t-il pu arrive à la lumineuse et trop désirable Candice ? Jusqu’où l’identification avec son célèbre modèle va-t-elle ? Hasard ? Réincarnation ?
En une heure trente de récit prenant, Gérald Hustache-Mathieu mêle et démêle les fils d’une intrigue complexe sur fond de village paumé où tout le monde connaît tout le monde, mais où chacun est en lien avec la grande histoire d’une icône fauchée au faîte de la gloire. Chaque détail importe, de même le caractère de ces protagonistes haut en couleur, qui jonglent avec l’au-delà, entre répulsion, humour et fascination.
Polar Park – 2023
On reprend les mêmes et on repart pour un tour. Par un jour d’hiver, David Rousseau déboule à Mouthe au volant de son cabriolet Peugeot 504 blanc (le même que celui de Nestor Burma). Convié par un vieux moine qui veut lui parler des confessions de sa défunte mère, Rousseau arrive trop tard, le moine n’est plus. Rousseau prend le chemin très enneigé du retour quand il croise la marée-chaussée occupée à exhumer des congères une oreille tranchée. Ce qui fait bondir l’imaginaire d’un Rousseau toujours occupé à rédiger des polars, mais en large panne d’inspiration.
L’auteur s’installe donc à Mouthe pour enquêter sur ce qui devient une affaire meurtres en série inspirés par les grands tableaux de l’histoire de l’art. Pas franchement le bienvenu, il fait pourtant alliance avec l’adjudant Louvetot pour traquer le tueur particulièrement complexe qui décime la ville, et par la même occasion en savoir plus sur ses propres origines, avec comme point central de son enquête le fameux Polar Park où les bisons vivent en parfait voisinage avec le mystérieux Indien, dans des pâturages enneigés d’une beauté calme et menaçante.
En six épisodes d’une cinquantaine de minutes chacun, Gérald Hustache-Mathieucreuse le sillon tracé il y a dix ans dans son film. Mêmes personnages, mêmes acteurs, même déclaration d’amour fou pour l’univers du polar à l’américaine, à la canadienne, à la suédoise, à la française ; les clins d’œil s’enchaînent, se croisent, se recoupent qui font le bonheur des amateurs, tandis que la psyché un brin torturée des deux héros tente de trouver des réponses et des solutions au mystère de la vie, de l’amour.
La pertinence d’un travail de réécriture
Les deux sont indépendants l’un de l’autre, pourtant il s’avère intéressant de visionner film et série pour différentes raisons :
- Polar Park s’avère un exercice de réécriture très pertinent de Poupoupidou, les passerelles entre les deux fictions sont nombreuses, l’arrivée de Rousseau au volant de sa voiture, la Marilyn du film évoqué dans la série, une situation et une image finales similaires, des décors et des objets communs, une manière de réfléchir les meurtres en écho, d’élargir le propos sans perdre le fil, l’humour décalé ainsi que la poésie et la folie propres aux deux récits, la cadence également ainsi que le travail de la B.O.
- La réflexion sur le travail de l’auteur s’affine depuis le film jusqu’à la série, ainsi que le questionnement sur le lent processus d’inspiration, la quête de l’adrénaline nécessaire à l’imaginaire, mais aussi à la restitution des émotions
- La confrontation entre écriture fictive et écriture de soi, le soi de la victime ou le soi du criminel, interroge la faculté d’identification de l’auteur extérieur qui cherche à pénétrer l’intériorité tortueuse de personnages qu’il cerne dans le réel pour les transposer sur la page.
Et puis il y a les acteurs. Le tandem Jean-Paul Rouve et Guillaume Gouix, déjà excellent dans le film Poupoupidou, revient dans Polar Park avec 10 ans de plus, et un relationnel beaucoup plus difficile à gérer quant à leurs personnages respectifs. Ils relèvent le défi avec un détachement savoureux, beaucoup d’ironie et de vérité. À leurs côtés, un casting d’envergure aussi bien dans le film que dans la série où l’on distingue notamment Sophie Quinton, Soliane Moisset et surtout India Hair qui crève littéralement l’écran dans Polar Park, confirmant ainsi ce talent qui transperce dans tous ses autres rôles et la venue d’une actrice d’exception dans le paysage audiovisuel francophone.
Bref, cette réécriture est passionnante à décrypter, riche d’enseignements, et savoureusement intelligente. Subtilement, le réalisateur invite le spectateur à suivre son propre jeu de pistes, questionnant ainsi la fascination exercée par des détectives héros auxquels on s’attache puissamment pour leurs grandes forces, mais aussi leurs petites faiblesses. Leur humanité.
Et plus si affinités