Aujourd’hui, c’est dans les bas-fonds du Paris haussmannien que nous nous glissons, à la suite du bel Achille Bonnefond, le héros de La Vierge Folle et 59, passage Sainte-Anne. La romancière Frédérique Volot signe ici deux polars historiques singuliers de par leur thématique et leur style.
Achille Bonnefond vs Le Mal
1861 : Le Second Empire triomphe, avec comme avant-garde du pouvoir Paris, la ville lumière, totalement repensée par le baron Haussmann sous la houlette d’un Napoléon III résolument progressiste. En résulte une bien belle vitrine qui attire les curieux des quatre coins du monde. Mais quand on s’éloigne des belles avenues, des grands magasins et des théâtres à la mode, l’ambiance s’avère beaucoup plus sombre et délétère. La misère rôde, autant que le crime.
Pour combattre le Mal et traquer les criminels qui pullulent, le pouvoir impérial a sa police bien sûr, mais parfois cela ne suffit pas. C’est alors qu’intervient Achille Bonnefond. Adepte du célèbre Vidocq, le détective privé allie intelligence et originalité pour enquêter sur les cas les plus retors. Une femme rousse au visage et au corps ravagé par le vitriol, le suicide d’une comédienne qui n’en est peut-être pas un, Bonnefond n’a pas son pareil pour démêler les pires intrigues.
Arsouilles et spirites
Quitte à infiltrer les pires milieux, les sociétés les plus hostiles. Dans La Vierge folle, il se grime en arsouille pour pénétrer le monde très fermé et très dangereux des chiffonniers ; dans 59, passage Sainte-Anne, il côtoie Alan Kardec et le cercle très fermé du spiritisme. À chaque fois, il joue les caméléons, cherchant à comprendre, analysant sans juger, en quête d’une justice dont son temps semble pourtant si dépourvu. Il y a un peu de Zola, des Goncourt, de Maupassant dans cette approche, quelque chose des Mystères de Paris d’Eugène Sue.
Confronté à l’horreur (les criminels qu’il poursuit sont franchement répugnants), Achille Bonnefond, s’il est parfois téméraire au point de risquer sa sécurité, n’en demeure pas moins rigoureux et précis, sans jamais perdre son humanité. Sa route croise celle de miséreux, de marginaux, chanteuses de cabaret, mendiants, petits voleurs, chiens abandonnés, toute une galerie de profils assez étonnants dont certains vont devenir des proches de l’enquêteur, composant ainsi une famille attachante, rassurante, car équilibrée.
Mystère et poésie
Un ressort classique du polar ? Certes, mais ici très efficace face à l’extrême dureté de la période (il y a quelque chose dans ces lignes de l’extrême rudesse, de la noirceur décrites dans la série Paris Police 1901). Si elle ne nous fait grâce d’aucun détail sordide, Frédérique Volot se singularise en mêlant au mystère une certaine poésie, dans la cadence des phrases, les mots choisis, les pensées d’un héros qui, en dépit de son côté séducteur, souvent doute de lui-même et du monde.
Pudique, l’écriture de Frédérique Volot, les énigmes qu’elle façonne jouent d’une certaine forme de retenue qui n’est pas commune dans l’univers de la littérature policière. Le tout dégage une ambiance très particulière, indéfinissable, où l’atroce et la quiétude se mêlent étrangement. On en ressort comme hébété, pris à la gorge, et en maque. À quand un prochain épisode des aventures du bel Achille et de sa smala ? Bientôt, espérons-le, car il y a beaucoup encore à découvrir dans son sillage.