Précédée d’une rumeur favorable, For Claude Shannon, la pièce de Liz Santoro et Pierre Godard, Le Principe d’incertitude, créée fin janvier 2016 à l’Atelier de Paris, est dédiée à Claude Shannon, pionnier américain de la théorie de l’information, dont on célèbre cette année le centenaire.
Shannon manquant
En l’occurrence, celui de la danse, réduite à la portion congrue d’un courant – le minimalisme – nous téléportant dans les années 60, époque des Trente Glorieuses aujourd’hui bien révolue. Voire à celle des années 20 et du mouvement abstrait et/ou élémentariste appliqué à la danse par les penseurs et créateurs du Bahaus – Oskar Schlemmer, en particulier. Curieusement, les joueurs de double Santoro-Godard ont tout misé sur la combinaison, analyse et synthèse de gestes simples (sémaphoriques, au sens informatique du terme, a priori pas métaphoriques), sur leur visible et prévisible permutation, sur des effets d’unisson et, au finale, un semblant de chaos. Reste cachée la face ou le violon d’Ingres qui pourrait nous rendre humain (= chaleureux ou sympathique), le génial logicien : son goût du circassien, sa pratique du jonglage, son habileté de monocycliste, son invention de machines bizarres, de robots ubiquitaire et autres gadgets inutiles.
Danse alphanumérique
Comme souvent dans le contemporain, le processus, dont il est toujours loisible de causer, peut à certains sembler plus important que le résultat même – plus nouveau et intéressant, en tout cas. Que le backstage et le back office soient exaltants pour les interprètes, cela ne fait pas de doute, ceux-ci découvrant au dernier moment, peu de temps avant la représentation, la partie ou partition qu’ils auront à jouer – pas du tout à improviser. Le vocabulaire chorégraphique de Liz Santoro et de Pierre Godard est en un premier temps répertorié, codé, chaque unité informatique associée à un verbe actif (en quoi la danse répétitive néo-postmoderne se rapproche de la belle dance) ou, si l’on veut chiffré – on sait, grâce à Jimmy Wales et Larry Sanger, que Claude Shannon travailla pour le renseignement dans la cryptographie durant la Seconde guerre mondiale. Une fois les interprètes familiarisés avec le sampling numérique qu’on appelle langage, ils peuvent converser entre eux et communiquer des phrases, des suites, des algorithmes kinésiques à la salle.
Les enfants de l’entropie
Le titre de la pièce fait référence à la notion d’entropie qui, en thermodynamique, exprime la transformation ou le degré de désordre de la matière et, en informatique, caractérise plutôt l’incertitude du message (suivant le nombre ou l’entrelacs de signes), et est précisément mesurable grâce à la fonction mathématique de Shannon. Sous les pleins feux de Sarah Marcotte, sur une bande sonore électro-acoustique signée Greg Beller, vêtus de costumes unisexes stricts (sous influence Agnès B) dus à Reid Bartelme, le quatuor formé par Marco D’Agostin, Cynthia Koppe, Liz Santoro et Teresa Silva débute sagement son jeu des quatre coins avant de prononcer, à tour de rôle, des mots en anglais – des mots d’ordre, des mots-clés, des mots-énigmes – susceptibles de déclencher les hostilités – les décibels en même temps qu’une relative agitation.
Qui, heureusement, dérangent le bel ordonnancement…
Et plus si affinités
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