Elle est blonde, souriante, lumineuse. Ses yeux sont pervenche. Sa voix est aussi fraîche, douce et cristalline que sa taille est menue. Son prénom respire les terres slaves, elle vient du Nord et sent la neige. Voici GiedRé, et elle chante. Des horreurs :
Des horreurs ? Ou bien plutôt les nôtres ? En général et en particulier ? La vie quoi, son ironie, sa fragilité, sa monstruosité constante, cette salope de vie qui conduit un gamin à devenir un tueur en série, un dictateur, un violeur d’enfant, … ou un pauv’mec insignifiant qui crèvera d’une hémorragie rectale après des années de prise de tête et d’emmerdements en chaîne, les études, le boulot, la femme et les gosses, les crédits, la télé, … « Meurs », « Est-ce que ça vaut la peine ? », « Les petits signaux », « L’amour à l’envers », « Ode à la contraception », … en une trentaine de compos essaimées sur trois albums dont le dernier, Mon PremieR aLbuM avec d’auTRes iNSTRuMeNTs que JuSte La GuiTaRe, sort après demain, la demoiselle taille un short au meilleur des mondes possibles et dépeint la réalité telle qu’elle est : nous allons tous mourir, petits chats et enfants compris, nous souffrons, nous sommes tous handicapés, nous faisons caca, nous sommes malades, souffrants, seuls, hypocrites, et un peu trop cons, faut bien l’avouer …
La dernière fois que j’ai capté ce discours ? J’hésite … Etait-ce dans la bouche d’un Johnny Rotten ado et défoncé, interviewé en pleine vague punk, le regard perdu dans les vapeurs de colle ? Ou dans les pages des Essais de Montaigne ? Peut-être celles de Jean Teulé, dont la chanteuse apprécie par-dessus tout le réalisme concret et sans fioriture, revenant sur Le Montespan pour en goûter la justesse de ton : « Il dit les choses, à l’époque les nobles ne se lavaient pas, quand ils dansaient, ils perdaient leurs dents ». Idem avec l’auteur Philippe Jaenada, Hugo et son « côté terrien », Georges Carlin l’humoriste américain. Ce seront les rares références que GiedRé citera lors de notre entretien. Des influences ? Elle n’en a pas, elle ne veut pas « faire comme », préfère découvrir par elle-même. Car il n’y a pas de cursus spécial à suivre pour faire Giedré, moins on va à l’école, mieux c’est. Bon d’accord, elle a fait l’école de la rue Blanche, pour y apprendre le théâtre d’ailleurs actuellement elle devrait, dixit la demoiselle assise sagement devant moi en train de sucrer son thé, « rembourser cette scolarité à l’Etat en travaillant dans un théâtre public avec des gens qui sentent la poudre et la naphtaline ».
Sauf que le sort en a décidé autrement, le sort peut-être, une bonne petite fée pourquoi … et l’expérience très sûrement. Venue de sa Lituanie natale, il y a fort longtemps en train (on peut aussi venir en bus, en avion, à pied ou en roller, m’explique-t-elle doucement), elle et les siens comptaient trouver de par chez nous les yaourts qui manquaient en URSS. Ils les ont trouvés … ainsi que des clochards. Chaque médaille a son revers. Forte de cette philosophie, GiedRé n’est guère adepte de la victimisation à tout crin. Elle qui écrit ses chansons d’une traite, composant texte et musique en parallèle, partant d’un thème, d’une phrase parfois, d’un prénom pour tisser ses brulots sonores, se plaît à chanter toutes les –philies du mondes : pédophilie, zoophilie, scatophilie, … multiphilie qu’elle est, notre jolie Princesse Caca, qui tutoie les gens dans ses comptines car elle s’adresse à l’individu dans la masse, s’interroge « sur l’humain, non sur l’humanité », sans discrimination, puisque handicapés et valides en prennent également pour leurs grades respectifs.
Du coup elle cite des noms directement, de gens connus, chanteurs et assassins confondus. Règlement de comptes in ? Non, non, selon elle, elle n’a pas l’impression de dire des méchancetés : on peut dire ce qu’on veut, les fans ne sont pas obligés d’écouter, elle donne « un avis, pas un jugement ». Ironique en diable, elle parle de tout, ne s’interdit rien, pas de barrière, pas de tabou : « pourquoi traiter un sujet mais pas un autre, c’est injuste, il faut dépasser ça ou alors on se tait sur tout ». Si elle n’aborde pas la politique directement, c’est parce qu’elle ne veut pas marquer ses chansons dans le temps. Cynique à la Michel Onfray, elle s’étonne de certaines réactions, des gens qui semblent découvrir le racisme parce que les journalistes soudainement en parlent, des revendications féministes également. L’interprète de « Pisser debout » n’a jamais voulu aborder sa vie et sa carrière en fonction de son sexe, ne s’est jamais dit « Je suis une femme qui monte sur scène ».
Giédré live « Je pisse debout » par LeMouv
Refusant les communautarismes, elle privilégie les démarches individuelles, et se définit comme « un être humain qui fait ce qu’il veut ». Mot d’ordre : refuser la victimisation, se poser en acteur de sa vie, en décisionnaire. Etre conscient des choix qu’on fait. On comprend mieux pourquoi Giedré s’est tournée vers l’autoprod. La musique s’est ouverte à elle par hasard, quand ses chansonnettes poussées devant un café ont commencé à plaire. Beaucoup. Avec Laurent Baffie et Raphaël Mezrahi comme parrains, les choses se sont accélérées. Vite. Le public a grossi, les fans ont fait acte de présence, habillés en caca, enthousiastes et impliqués, prêts quelquefois à attendre des heures pour investir les salles et les décorer de papier toilette, en hommage à leur Muse. Muse qui se laisse porter par les évènements – « la vie ne peut être cadrée, c’est un risque de prévoir » – continuant à saluer son audience en faisant un anus avec les doigts, sans pour autant aller se dévoyer dans certaines émissions télé « parce qu’y aller, c’est accepter qu’elles existent ». Bim ! Responsable et logique, en accord avec elle-même, la Princesse Caca.
Et spontanée. Jusque en scène où elle apparaît sur une mini estrade pensée comme les tréteaux nomades du Moyen Age selon une scénographie où reposent au milieu des fleurs plastique les poupées gonflables qu’elle a récupérées pour leur prêter une seconde vie (grande amatrice, elle serait assez du genre à monter un Front de Sauvegarde de la Poupée Gonflable), vêtue des fringues multicolores/multistyle/mutlitout qu’elle a chinées en friperie, des vêtements chargés d’un vécu que la chanteuse de plaît à imaginer, « ça sent l’Allemagne de l’est », et qui lui donne ce look si particulier, oscillant entre une Zézette améliorée, une héroïne de La petite maison dans la prairie, ou une figure clownesque des Deschiens. La Princesse Caca, quoi … même si cette princesse prend souvent des allures de fée Scato quand elle entonne certains refrains avec un accent soudain grinçant qui fait frémir autant qu’il séduit.
Aussi bien dans nos provinces qu’au Japon, la fée frappe fort, qui a réussi à abolir les barrières culturelles d’un coup de caca magique, pas évident, les japonais sont plutôt réservés, donc l’anus avec les doigts, ça a d’abord interpelé grandement les nippons avant de les rendre enthousiastes. Un succès qui a conduit la Miss sur le plateau de Taratata, devant les objectifs de Longueur d’Ondes, et bientôt sur les planches de l’Olympia, elle compte les jours tandis que son stock de couches culottes baisse quotidiennement (le stress ça liquéfie, faut croire). Humour noir, retour au stade anal pour mieux se sentir grandir, jusqu’à cette soirée de soutien à l’asso Sexualité et handicap que notre princesse compte bien marrainer, ça fait sens, normal quand on est une fée et qu’on demande d’applaudir, tant pis si on n’a pas de mains. Comment voulez-vous qu’avec pareilles réparties, GiedRé ne fédère pas les adeptes du franc parler qui n’en peuvent plus de la langue de bois et appellent un chat un chat, une bite une bite (merci Guy Bedos) et une hémorragie rectale une hémorragie rectale ?
Pourtant ce grand élan étonne la principale intéressée : « C’est qui ces gens qui m’aiment ? » s’interroge-t-elle, toute émue de la manière dont elle est reçue à chaque concert. Puis après un temps de réflexion à observer sa part de pain au chocolat, elle l’avoue : celle qui n’hésite pas à orner albums, site web et page Facebook de cacas magiques et de ventouses multicolores, qui pose embllée dans du PQ ou dans une poubelle, est contente. Contente, avec ce peu de médiatisation dont elle se joue, d’ « être un choix pour les gens ».
Des millions de mercis à GiedRé pour cette heure passée ensemble, merci à Nico qui a rendu cette rencontre possible.
Et plus si affinités