Reflet d’artiste / Les Décaféinés : Et si Beckett rencontrait François Pignon ?

A la base on les a découverts comme ça :

Des sketches au lance pierre avec sujets imposés, une vision du monde complètement barrée et assumée, un délire perpétuel avec chansonnettes incorporées et jeux de mots continus, un air de Droopy fataliste qui subit l’univers et en souligne les incohérences d’un coup d’oeil, … les Décaféinés ont très vite su s’imposer au cœur du ONDAR Show (célébrissime et très regrettée émission comique On ne demande qu’à en rire diffusée par France 2). Ce n’était pourtant pas gagné puisque Rémi Deval (celui qui n’a pas de barbe) s’était fait blackboulé lors d’un premier passage en solo par le jury qui lui avait vivement recommandé de choisir une autre voie.

Comme quoi il a bien fait de s’obstiner. C’est finalement à deux, avec Clément Parmentier qu’ils reviendront en force pour produire une série de sketches drolissimes et conquérir le cœur des téléspectateurs, se forgeant ainsi un public de fans qui ont déboulé ensuite dans les salles pour voir leur show, après un passage obligé à Avignon (direct le festival, ils ont attaqué fort quand même) où ils ont entamé le rodage de leur « Dépression musicale » dont voici « L’argument » :

Et comme toujours dans leur univers, des chansons :

Et un dialogue sans queue ni tête, dont la websérie Autour d’un déca diffuse les principes de façon régulière sur la toile :

Voici en quelques images les ingrédients qui composent la recette de ce spectacle. Et je vous préviens de suite : exit le rythme effréné des sketches télévisés, sur scène les Décaféinés sont plus lents, plus mous (dépressifs, quoi) leur écriture va se concentrer sur des jeux de mots, des répliques à rebonds, entrecoupées de silences, et de ces petites chansons de gamins dont ils ont le secret, où ils pointent du doigt avec le langage simple et cru des enfants l’isolement qui nous frappe et des codes assez réducteurs entre intégration sociale, recherche de l’âme sœur et boulot alimentaire.

Ce ralentissement surprend au début, de même le dépouillement qui l’accompagne et derrière le rire, un malaise. Car nos deux dépressifs sont des siamois, habillés de la même façon, vivant tout ensemble comme des jumeaux, incapables de couper ce cordon ombilical qui les relie pour le meilleur et pour le pire. Deux potes aux relations assez étranges, dans des échanges de dominé/dominant proches du vieux couple frustré, capables des pires vacheries entre deux chouquettes.

Au travers de situations absurdes (le suicide à la vitamine C est un très grand moment), c’est une composition dramaturgique qui transparaît, d’une très grande finesse et introspective au possible (épaulée à la mise en scène par les conseils d’Isabelle Nanty qui avait si bien su mettre en valeur les Robins des Bois entre autres). Car des relations ambigües comme celles-là, nous en avons tous vécues, et elles nous ont bien bouffés. Et c’est ici ce qui saute au visage.

Bouvard et Pécuchet modernes, Vladimir et Estragon qui auraient fui le no man’s land beckettien de En attendant Godot pour atterrir au Théâtre Trévise et y donner une version masculine et burlesque des Bonnes de Genêt. Derrière ce comique brut de décoffrage, nos angoisses et nos monstres sommeillent. Bon je vous rassure, à la ville ces deux loulous sont beaucoup plus vivants … mais tout aussi dingues sinon plus comme en témoigne cet instant où je leur demande :

Ouep, ça pétille n’est-ce pas ? Et les deux démarrent au quart de tour en mode ping pong. Et ça va revenir tout au long de l’interview, avec régulièrement le regard de Rémi Deval qui se perd dix secondes dans la projection béate de ce numéro de nudisme équestre, repris aussitôt par Clément. Osmose ? Siamois, je vous l’ai dit. Et ça va transparaître durant ces 20 minutes d’échange où ils vont me raconter leur parcours, leurs influences, leur mode de travail, leurs expériences, ce qu’ils ont appris au ONDAR et ailleurs, et ce premier spectacle qui ne sera pas le dernier, soyez-en sûrs.

Entretien (et évidemment il a fallu que les portables interagissent donc de très jolis petits bip bip s’invitent de temps à autre pour une touche de musique industrielle des plus expérimentales qui ajoute au côté dépressif de la chose J ) :

Rencontre avec les Décaféinés à l’occasion de leur « Dépression musicale » by Delfromtheartchemists on Mixcloud

Un grand grand merci aux Décaféinés pour leur temps, leurs réponses, leur gentillesse.

Et plus si affinités

http://www.lesdecafeines.com/

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com