Inscrites dans le programme de Marseille Capitale culturelle européenne 2013, les Rencontres d’Arles de cette année ont débuté le 1er juillet pour se terminer ce 22 septembre après trois mois dédiés à une réflexion sur le devenir de la photographie en noir et blanc dans un monde numérisé en quête de plus de lumière et de couleur.
La problématique était ambitieuse qui interrogeait la valeur esthétique de la photo, le N/B étant par essence le révélateur du talent, la difficulté technique à domestiquer, l’obstacle à franchir pour prétendre au statut d’artiste. Entre ombres et lumières, pas de possibilité de tricher. Est-ce pour cette raison que la nouvelle édition fut immortalisée par un cygne noir, symbole de l’ambiguïté entre la beauté et le mal ?
De fait avec ses 50 expos et ses 50 stages parachutés aux points clés de la ville, Arles in black a excédé les limites purement techniques et esthétiques (représentées entre autres par le diptyque Couleurs de l’ombre et Revolution du japonais Hiroshi Sugimoto) pour interroger la noirceur sous d’autres angles. Par exemple celle de la peau avec des expos consacrées à l’Afrique et à la condition noire, Robin Hammond et Zimbabwe, Une histoire américaine, la rétrospective Gordon Parks, Cristina de Middel et son travail sur The Afronauts, …
La noirceur de nos conditions est également abordée avec Michel Vanden Eec Khoudt et Doux Amer, Jean-Louis Courtinat et Le Témoignage Social, John Davies et France Angleterre, … De même la noirceur de nos âmes et c’est peut-être là que se dessine la ligne tellurique de cette édition, qui en trace l’axe de lecture, entre l’exposition consacrée à Alfredo Jarr et 24hrs of Photos, l’installation de Erik Kessels.
Envahissant une des salles de l’archevêché, cette installation inonde la pièce d’une montagne de photographies, représentant ce qui a été posté en 24 heures sur les réseaux sociaux. L’effet d’étouffement est instantané, la vacuité de ces clichés saute aux yeux, de même l’impression de perte de temps, des valeurs, de la perception de la réalité.
A l’inverse, La Politique des images orchestrée par le chilien Alfredo Jaar dans l’église des Frères Prêcheurs passe au crible la valeur informative de la photo de journalisme, installations, projections, l’amoncellement d’images relie cette réflexion à celle de Erik Kessels pour en poursuivre le sens et faire frémir. Car que deviennent les valeurs humaines dans cette déperdition, cette société du spectacle ?
A ce titre l’installation centrale de l’expo est un véritable coup de poing : créé en 2006, The Sound of Silence dévoile les dessous de cette fameuse photo montrant une petite fille africaine mourant de faim avec un charognard derrière elle. Signée Kevin Carter, ce cliché sera récompensé du prix Pullitzer en 1994. Ce que l’on sait moins et que Alfredo Jaar nous conte en phrases concises et avortées de sensiblerie, c’est que le photographe a attendu 20 minutes auprès de cette gamine en train de crever.
Il a attendu que l’oiseau ouvre les ailes. Pour faire un effet. Il a attendu en vain. Puis a pris la photo qui allait le consacrer, et a fumé sa clope, pendant que la gosse gémissait de douleur. Et il a pleuré. Trois mois plus tard, il se suicidait. On ne sait pas ce qu’est aujourd’hui devenue l’enfant mais elle a du moins survécu à cet épisode.
Soulignée d’une scénographie superbe notamment dans les Ateliers, l’édition 2013 des Rencontres pose ici la véritable question : que voulons-nous faire des images que nous prenons ? A quoi servent-elles ? N’y perdons nous pas notre âme pour sombrer dans la noirceur trompeuse des apparences ? Comment y retrouver la lumière ?
Album photos : https://www.facebook.com/media/set/?set=a.499262550152678.1073741852.114156521996618&type=3
Et plus si affinités