Dernièrement, j’ai refait mon CV (eh oui, j’ai une vie en dehors de The ARTchemists). Et quelle ne fut pas ma surprise de réaliser que j’avais un bon gros bagage en matière de community management, avec une décennie de posts ARTchemisiens diffusés d’abord sur Facebook puis sur Twitter, Pinterest… sans compter Insta et LinkedIn. Une décennie à voir ces plateformes émerger puis s’imposer dans le paysage culturel, permettant à nombre de ces étincelles artistiques (et autres d’ailleurs), de scintiller au su et au vu de tous, puis de se transformer en énergie créative durable. Un temps béni… mais pas dit que ça dure. Et c’est bien là le problème.
Tout ce boulot pour pas grand-chose ?
Entendons-nous bien : des bugs, des changements d’algorithme, de politique édito, The ARTchemists en ont essuyé plus d’un (et on ne vous parle pas des caprices de Google qui rétrograde le rang d’un article parce que ce dernier ne respecte par pleinement les diktats de la SEO – mon Dieu, si Zola avait dû se plier à pareilles règles, Dreyfus serait encore en train de croupir en détention sur l’Île du Diable). On ne compte plus les coups au cœur en découvrant un matin la courbe de notre lectorat bondir dans les cimes ou dégringoler plus bas que terre. Un truc à devenir dingue, à multiplier les AVC.
Au fil du temps, on s’est habitué, prenant la chose avec plus de philosophie, mais toujours un brin d’amertume. Tout ce boulot pour pas grand-chose ? Et puis nous nous rappelons Sisyphe et Le cercle des poètes disparus et nous repartons à la charge. Ce qui est épuisant, c’est la constante obligation de s’adapter. On a à peine réussi à prendre en main un outil qu’un autre débarque qui fiche tout en l’air. Ne dit-on pas dans le milieu des RH qu’une compétence est désormais caduque au bout de deux ans ? C’est proprement usant pour les nerfs et le mental, sans parler d’épuisement intellectuel. Sentiment de courir comme un poulet sans tête, et de se détourner de l’essentiel, l’analyse, l’argumentation, la prise de recul. La culture, le plaisir d’apprendre, la curiosité… Crevant et débilisant.
Se perdre dans un torrent de conneries
Heureusement, on a les réseaux sociaux. Enfin, on avait. Car depuis bien cinq ou six ans, là aussi, ça rame. Moins de visibilité et d’engagement, moins d’intérêt, toujours plus de contenus pour garder le rythme, contenus à peu près qualitatifs mais qui doivent répondre aux normes dictées par chaque plateforme et qui de toute façon se perdent dans un torrent de conneries boueuses et nauséabonds. Avec en prime ce sentiment d’être pris à la gorge, piégés dans une mécanique diabolique. Il suffit de taper Facebook et actualité sur Google pour s’en convaincre. Voici la pêche de ce 13 mars 2023 , outre la réintégration de Messenger, on trouve :
- «De fausses disparitions d’enfants pour générer des clics et de l’argent», un zoom sur les dernières fake news en vogue sur Fesse de Bouc qui s’avère un terrain de chasse assez fructueux pour les escrocs en tout genre.
- «Pourquoi les vidéos nues d’Emma Watson inondent Facebook et Instagram ?» ou comment une appli de deepfake n’a rien trouvé de mieux que de balancer des vidéos fartées de stars pour vanter ses prestations. La pauvre Emma Watson en fait les frais, son double virtuel étalé dans des positions suggestives un peu partout sur le réseau.
- «Meta menace de bloquer l’accès aux nouvelles sur Facebook et Instagram» (ça c’est au Canada où la firme de Zuckerberg, refusant le projet de loi C-18 sur le partage des revenus, s’adonne à un chantage assez dégueulasse, prenant les usagers en otage pour faire plier les autorités).
C’est un petit panaché assez sympa, non ? Et c’est à peu près la même chose pour Instagram et Twitter.
Un état des lieux flippant
L’état des lieux est assez flippant. Au finish, les social media qui comptent sont :
- Fragiles; il suffit d’un bug, d’un serveur qui plante et c’est tout le circuit qui bloque, avec des conséquences graves pour les usagers, principalement les entreprises et les influenceurs qui voient leurs pertes financières se chiffrer en millions.
- Changeantes; les algorithmes n’en finissent plus d’évoluer, les outils de s’accumuler, également les méthodes, les formats, les trends… bref il y a de quoi avoir la nausée, un bon mal de crâne, le moral dans les chaussettes et un bon socialmedia burnout à la clé.
- Saturées; 2,958 milliards d’utilisateurs actifs mensuels sur Facebook en 2023, plus de 100 millions de photos et de vidéos partagées quotidiennement sur Instagram, 850 millions de membres sur LinkedIn en 2022, on se bouscule sur le social media dont les principaux acteurs ressemblent de plus en plus à des boites de sardines bourrées jusqu’à la garde… ce qui explique la mutation frénétique des algorithmes afin de mettre les contenus les plus accrocheurs (donc les plus racoleurs) en première ligne.
- Polluantes; eh oui, qui dit saturation dit un max d’énergie pour stocker toutes ces données (et les exploiter par la même occasion, y a pas de petit profit). Avec des stats alarmantes si l’on en croit Greenly, je cite :
- «Selon une étude deGreenspectorde 2021, poster et consommer du contenu revient à émettre 165,6 gEqCO2 par utilisateur et par jour (soit, 1,4 km effectués en véhicule léger)».
- «TikTok arrive une nouvelle fois en tête du classement avec 15,81 mAh/min, suivi cette fois de Facebook et ses 12,36 mAh/min, puis de Snapchat avec 11,48 mAh/min. À titre de comparaison, la consommation électrique annuelle du numérique équivaut à 10 % de la consommation électrique annuelle française».
Tu veux être visible ? Tu raques.
Surchargés, brouillons, les réseaux sociaux vampirisent, la déconnexion devient impérative si on veut préserver sa santé mentale et son intégrité, pour l’influenceur comme pour l’usager, pour le community manager comme pour l’internaute. Pompe à datas, pompe à contenus (produits gratuitement pas des utilisateurs affolés à l’idée de devenir invisibles et d’en prendre un coup à cet égo titillé par la volonté de récompense, là aussi il y aurait beaucoup à dire sur l’exploitation neurologique d’un public littéralement conditionné comme autant de rats de labo en manque de dopamine – cf voir la websérie d’ARTE, consulter les bouquins sur le sujet, il y a de quoi faire), les réseaux sociaux ne sont pas des antichambres du paradis ; ce sont des entreprises qui doivent ramener de l’argent, et des bénéfices.
Or là aussi, ça coince. Meta/Facebook dévissant en bourse et licenciant en masse après avoir injecté trop de fric dans sa quête du metaverse, Twitter au bord de l’implosion après le rachat by un Elon Musk aux dents aiguisés de prédateur numérique libertarien en diable qui fiche les équipes dehors par tweet interposé, les recettes publicitaires en chute libre, les usagers qui se barrent. Pour tenir la rampe, plus d’autre solution que de faire payer. Tu veux être visible ? Tu raques.
- C’était déjà le cas via les publicités, avec un CPC (coût par clic) moyen de 1,86 euros sur Facebook Ads selon Slice.club, mais cela peut monter beaucoup plus haut avec certains tarifs… à 97 euros !
- Et maintenant, on va avoir droit à « Meta verified », abonnement payant Facebook et Instagram soit 11 euros 20 par mois pour faire authentifier son compte. Et il faudra payer pour chaque page. Ce n’est pas obligatoire mais l’acquisition du badge bleu de certification permet un accès privilégié au service client… et un regain de visibilité ?
- Idem chez Twitter avec la version « Blue » dont voici les tarifs cités par le Blog du modérateur:
- «L’abonnement mensuel sur la version web : 8 € par mois
- L’abonnement mensuel sur iOS et Android : 11 € par mois
- L’abonnement annuel : 7 € par mois (12 % d’économie)
- À savoir : la TVA s’applique (20 %). Donc pour un abonnement annuel, vous payez en réalité 100,80 € (et non 84 €)».
- Et pour enfoncer le clou, citons la tarification des API jusqu’ici gratuites de l’oiseau bleu, avec un abonnement de 100 dollars environ au mois, ce qui risque fort d’enquiquiner les community managers de France, de Navarre et d’ailleurs.
Se tirer sur TikTok… et passer à « l’ennemi » sans le savoir ?
Ils nous avaient juré leurs grands dieux qu’ils resteraient gratuits. Et nous les avons crus. En oubliant que le « too big to fail » n’a absolument pas empêché la chute de géants comme Lehman Brothers, avec les dommages collatéraux considérables engendrés, chômage, crise économique et sociale, précarité, appauvrissement… Facebook, Twitter et consort sont-ils en voie de désagrégation ? Où se réfugier pour continuer à être visible ? TikTok ? Là aussi, avis de tempête : la plateforme chinoise est le cul sur un siège éjectable pour différentes raisons résumées dans l’article du Monde « Que reproche-t-on à TikTok ? Soft power, espionnage, données personnelles… ».
En jeu, rien moins que l’interdiction pure et simple par les puissances américaines et occidentales d’un réseau considéré comme un outil d’influence idéologique en sus d’un moyen de récolter des informations logistiques, en d’autres termes un James Bond numérique installé confortablement dans nos poches et nos smartphones. Communiquer sur TikTok, en dehors de la pauvreté affligeante des contenus et du fait que « ça rend con », dixit « Comment TikTok a ba*sé le cerveau d’une génération », l’analyse particulièrement pointue réalisée par le youtubeur Léo Duff, reviendrait à passer à « l’ennemi » sans le savoir ?
Changement d’approche en vue
En tout cas, miser sur une campagne de communication tiktokienne risque à l’avenir de capoter, et les budgets alloués à ce type de stratégie éditoriale de fondre comme neige au soleil. Où alors se réfugier, pauvres exilés social média que nous sommes ? Mastodon ? Diaspora ? Sur les applis indiennes développées en quatrième vitesse quand l’Inde a purement et simplement viré TikTok de son espace numérique en 2020 ? En tout cas, il va falloir changer notre approche. Désormais, deux enjeux se dessinent :
- demeurer visible sur les réseaux où on a déjà un ancrage… et se demander si on a les moyens financiers pour y parvenir… et si cela vaut vraiment le coup au niveau des effets.
- investir d’autres réseaux sur lesquels prospérer, quitte à ce qu’ils soient plus intimistes, moins fonctionnels.
Et sans forcément débourser un budget qui risque fort de croître avec le temps et les besoins financiers de ces géants aux pieds d’argile. La question doit être posée, surtout pour les petits entrepreneurs qui n’ont pas de moyens, les artistes qui n’en ont pas non plus mais sont dépendants de cette mise en lumière et qui passent énormément de temps à y valoriser leur création. Et puis il y a la question environnementale : le fait d’être sur une plateforme énergivore et polluante ne sera-t-il pas bientôt un facteur de mécontentement pour des usagers sensibilisés à la question climatique par la force des choses et la canicule qui frappe ? Pour mémoire, 900 000 recherches ont récemment été effectuées pour savoir comment “supprimer” ou “désactiver” Instagram, selon le Presse-citron, qui place Instagram en tête des applications à supprimer de son portable. Du coup, on ne va peut-être pas inaugurer un Insta spécial The ARTchemists, si ?
Mais, Padmé, pourquoi cet étalage de chiffres et d’infos qu’on connaissait déjà ? Si The ARTchemists ne sont pas contents, pourquoi continuer à publier sur ces mêmes réseaux sociaux que vous conspuez allégrement depuis le début de cet article ?
- Eh bien, parce que la problématique, nous la vivons au même titre que vous. Parce que, comme vous tous, nous nous sentons piégés dans ce labyrinthe. Parce que nous refusons que 10 années de travail acharné soient balayées
- Parce que nous avons conscience que demeurer ou non sur un réseau social va progressivement constituer un geste politique fort, impliquer un engagement, demander une réflexion en amont.
- Parce qu’avec pareil contexte implosif, TikTok impliqué dans la Guerre froide entre USA et Chine, les réseaux américains dévorant l’énergie comme des ogres, la visibilité de tous est mise en péril avec en perspective la santé d’entreprises, d’activités, de créateurs et d’artistes, de journalistes et de médias d’information.
- Parce qu’il va forcément y avoir des conséquences, et qu’il faut s’y préparer.