« De rockstar à tueur : le cas Cantat » : anatomie documentée d’un silence coupable

The ARTchemists Documentaire Bertrand Cantat

19 coups. 19. À mains nues. Une avalanche de violence qui a démoli le visage de Marie Trintignant, comédienne, mère, petit bout de bonne femme, 1m60 à la louche, 60 kilos toute mouillée. C’était en 2003. 22 ans ont passé. Mais aujourd’hui encore, des pontes de la scène rock, cherchent, vaille que vaille, à sauver les meubles. À excuser. Comme si l’aura légendaire de Noir Désir pouvait effacer les traces de sang, le visage broyé, le corps réduit en miettes. Comme si le génie justifiait la violence. Effarement. Malaise. Nausée. Colère. Comptez sur les trois épisodes de la série documentaire De rockstar à tueur : le cas Cantat pour remettre les pendules à l’heure.

Une série sobre, mais implacable

Pas de musique tragico-dramatique, pas de montage racoleur. Juste les faits, froidement posés. Des images d’archives, des témoins, des experts. Trois épisodes glaçants, dont chaque minute rappelle ce que beaucoup ont sciemment oublier : Bertrand Cantat a défoncé le visage de sa compagne, jusqu’à l’irréparable. La société, les médias, le milieu artistique ont, pour beaucoup, regardé ailleurs. Pire : défendu l’indéfendable. Trouvé des excuses. Parlé d’hystérie.

On redécouvre l’époque : 2003, une autre ère. Le mot « féminicide » n’est pas encore entré dans le dictionnaire. Le hashtag #meetoo est alors inenvisageable, les violences conjugales reléguées en rubrique « Faits divers » sous l’appellation « crime passionnel ». dans ce contexte, le charisme de Cantat va tout dévorer, lui qui explique qu’il a tué par accident, par excès d’amour. Marie Trintignant, quant à elle, disparaît, rayée de la carte des souvenirs, happée dans la spirale de la malédiction du poète Cantat.

Artiste vs. homme : la vieille chanson

Le plus révulsant dans cette série, ce ne sont pas les faits — on les connaît, la journaliste Anne-Sophie Jahn, coréalisatrice de ce documentaire, a déjà publié un ouvrage sur le sujet, Désir noir, en 2023. Non, ce qui est écœurant, ce sont les témoignages de professionnels de la musique, qui, s’ils semblent gênés, n’ont guère l’air outré. Qui continuent à vanter la puissance scénique de Cantat, sa voix, son énergie. Qui refusent de mêler musique et vie privée. Le vieux débat homme vs artiste.

Peut-on dissocier l’homme de l’artiste ? Question récurrente, surtout quand l’artiste en question a été encensé, adulé. Noir Désir, c’était le souffle du rock français, l’insoumission, la rage poétique. Mais le souffle a viré au poison. Un poison déjà bien présent, ancré profond et dont témoigne par delà la tombe, Krisztina Rády, ex-compagne de Cantat retrouvée pendue en 2010. Elle qui avait défendu son homme conter vents et marées, qui avait affirmé, scandé qu’il n’était pas violent… qui pourtant avait subi ses coups. Elle aussi. Un deuxième drame.

Cancel culture ou impunité programmée ?

Et toujours la même passivité. À force de dissocier, on oublie. On évite. On absout. Comme si le fait d’avoir écrit «Tostaky » ou «Un jour en France » pouvait accorder un passe-droit à la barbarie. C’est à la fois faux et dangereux. Insultant pour toutes les victimes de violences conjugales, et un encouragement pour les auteurs de ces violences criminelles. Certains crient à la cancel culture. Mais soyons clairs : la véritable culture dominante, c’est celle de l’impunité.

Celle qui permet à des artistes de revenir sur scène, de sortir des albums, de reprendre la parole publique, comme si de rien était. Comme si rien ne s’était passé. De nouveau des stars, de nouveau des idoles. Adulées. Pendant ce temps, les victimes, elles, sont six pieds sous terre. Ce documentaire remet les pendules à l’heure. Il éclaire les non-dits, les complaisances, les silences. Et rappelle qu’avant d’être des star, ces hommes célèbres sont aussi des hommes violents, dangereux, qui ne doivent pas se réfugier derrière l’écran de fumée de leur talent, aussi grand soit-il.

Une dernière note pour la route

Cela vaut pour les Johnny Depp, les Depardieu et autres artistes, peu importe leur discipline, leur champ d’expression. Il est temps que lart, le vrai, celui qui secoue les consciences, arrête de se planquer derrière ses mythes. Il est temps de stopper ce déni qui ressemble fort à la préservation coûte que coûte de poules aux œufs d’or (millions d’albums vendus, concerts sold-out, records d’entrées dans la salles de cinéma). Et d’écouter enfin les cris qu’on a trop longtemps fait taire.

Et plus si affinités ?

Vous avez des envies de culture ? Cet article vous a plu ?

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com