Cher Patrick Eudeline, cette petite bafouille en forme de chronique pour vous supplier d’avoir pitié de moi. Grande admiratrice de votre style révélé à la lecture du magistral Vénéneuse, je viens de m’enfiler la majeure partie de vos romans pour me préparer dignement à la lecture de ce nouvel opus, Les Panthères grises. Je me disais qu’avec l’âge, vous seriez moins incisif peut-être, plus rond, … on ne sait jamais, l’arthrose et la faiblesse cardiaque, ça peut faire des miracles sur les plus récalcitrants. Foutaises … sur les écorchés vifs dans votre genre, la vieillesse n’a point de prise. Pire, elle augmente la hargne, la rage de vivre et d’en découdre. Elle est fontaine de jouvence.
Grises félidées et jeunesse rock
Dixit ces grises félidées, qui burent le sirop de la vie dans leur jeunesse rock, panthères desséchées aujourd’hui perdues dans ce monde sans valeurs, sans saveurs, sans envies. Guy le gratteux, coincé entre une fille dépressive et un petit fils puant de vanité et d’une réussite sociale médiocrissime, quitte à plumer papy parce que vive les jeunes, les vieux rockers sont bons pour la casse, … Didier ancien batteur marié un peu trop vite à une malgache en mal de naturalisation, qui vient de lui piquer toute sa thune en plus de l’avoir plaqué avec la gamine sous le bras … des survivants donc, comme vous savez si bien en décrire, qui ont échappé à l’overdose et la cirrhose des 80’s pour échouer en ce début de XXIeme siècle sirupeux et plat.
Mordre cette société de mierda au cul
Attendre la mort en se faisant dépecer sans rien dire ? Hors de question. Les panthères sont peut-être grises, elles ont encore des crocs bien plantés, des griffes acérées. Suffisamment pour mordre cette société de mierda au cul. Pour les y aider, Nadire, un beau mec, ancienne gloire des gangsters parisiens qui regarde le milieu se métamorphoser et pas pour le meilleur. Nadire, rencontré dans le troquet que tient sa régulière, Mado, ex pute mais bonne taulière, en plein Pigalle, ce Pigalle qui vous est si cher, que vous connaissez comme votre poche, cartographie sinueuse et décadente envahie par le bobo, mais où l’on respire encore l’air du passé au détour d’une devanture pourrie, d’une enseigne poussiéreuse, d’un rade déserté.
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Une grande star dans un grand hôtel
A peine rencontrés, ces trois fantômes se reconnaissent, comprennent qu’ils appartiennent à la même mouvance, ont le même ADN dans l’épine dorsale, même s’ils n’en ont pas exprimé la quintessence de la même façon, ils demeurent des artistes dans leur domaine. Et décident de monter un coup. Une grande star dans un grand hôtel, seule pendant que son rappeur de mec va lever la gueuse en boite de nuit avec leur garde du corps. Une grande star bardée de bijoux, de dollars, … Il n’y a qu’à entrer, menacer, entraver la dame, se servir … et calter volaille puis faire profil bas, avec une malle d’oseille en pogne. Les deux rockers vont dire oui, pour l’argent, pour le challenge, pour le fun.
De nouveau se regarder dans la glace
Pour revivre enfin, tout en balançant un grand coup de tiague dans la gueule de cette jeunesse qui veut les mettre au trou un peu trop vite. Pour pouvoir de nouveau se regarder dans la glace, non comme un pauvre quidam qui trime toute la journée au taff, mais comme un prince de la nuit, un rebelle plein de verve, qui fait la nique à l’autorité, à un modèle d’existence qu’on enfonce dans le crâne des gens à coup de pub et de communication mais qui ne vaut pas tripette et n’exalte rien de l’être. Super comme programme … mais vont-il réussir ? Sachant votre goût immodéré pour les maudits, rien n’est moins sûr … et je m’en voudrais de spolier votre sortie, touchant clin d’oeil qui rappelle que l’artiste n’est pas forcément faustien. De toute façon, qui s’en soucie ?
Stationner dans l’éternel
L’intrigue des Panthères grises, comme le reste de votre bibliographie du reste, est un prétexte pour fouiller le mental de personnages sur la corde raide de la perte d’identité. Conscients qu’ils sont rattrapés par le temps, ils se rêvent vampiriques, veulent stationner dans l’éternel, et ce sont leurs états d’âme qui font le prix de votre écriture, toute en tension, en abandon, en sursaut, en références précieuses, dynamisée par ce rythme, cette respiration haletante du musicien prêt à entrer en scène, du rocker qui voit son morceau prendre forme. Bref un régal stylistique, un bonheur du verbe … et une délicieuse frustration quand arrive l’ultime ligne du conte.
Et plus si affinités
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