« J’avais envie d’écrire une histoire d’amour ». Ou quand l’auteur de Guerilla et Dealer décide de se pencher sur les vertiges du cœur, vous pouvez vous attendre à un dynamitage en règle. Une sorte de romance apocalyptique abondamment arrosée de sang, de violence et de rock. Parce que sans le rock, l’univers de Phillipe Will n’a plus de raison d’être. Ni sa vie d’ailleurs. Du coup, le rock occupe l’arrière-plan de Avant que tout s’écroule tout en dictant le tempo infernal de cette remarquable course à l’abîme.
Soudain, tout s’arrête : Mary est là !
Posons le cadre : nous sommes en Californie. Icarus, batteur de son état, végète derrière ses fûts dans un énième concert à chier avec une formation où il s’ennuie ferme. Un concert de plus, insipide et sans saveur ni hauteur, mais au moins, ça paie le loyer. Tout irait pour le mieux dans le plus emmerdant des mondes si les yeux du rasta ne s’arrêtaient sur une spectatrice s’agitant devant la scène. Soudain, tout s’arrête : Mary est là ! Mary que Icarus a aimé comme un fou, Mary l’amante fusionnelle, Mary la femme absolue. Mary qui l’a largué un jour sans expliquer pourquoi, le laissant à moitié mort de chagrin, de frustration, d’incompréhension.
Mary qui visiblement semble le reconnaître, entre en contact, le drague ouvertement… sauf que Mary n’est plus Mary, mais une autre. Et poursuivie par d’étranges copains, en prime. Une autre qui échappe à cette surveillance pour se glisser dans le lit et la vie d’Icarus et y semer un merdier invraisemblable comme seul Phillipe Will peut en imaginer un. Un truc totalement hystérique avec le plein de scientifiques barrés, de startupers illuminés, de tueurs psychopathes, qui va mener ce héros au nom prédestiné bien au-delà de ce qu’il pouvait imaginer/rêver/craindre. Les trois ensemble sinon ça ne serait pas fun. Car la réapparition de Mary (là aussi un nom prédestiné) qui n’est plus Mary relève à la fois de l’histoire d’amour à la Roméo et Juliette, du polar trépidant en mode James Ellroy et du récit de sci-fi à la Dan Simmons. Avec une ambiance romantico-baroque typique de L’Eve Future de Villiers de l’Isle Adam.
Rock, équitation et métaphysique
Le tout bien frappé à la sauce rock’n’roll, pour apporter une dimension quasi homérique à cette course poursuite insensée, mais ô combien délectable, qu’on avale d’une traite comme un shot de vodka cocaïnée, avant d’enquiller sur le second verre. De fil en aiguille, les retrouvailles troubles et viscérales de Mary et Icarus élargissent le cadre de la fiction, lui apportent une dimension presque ésotérique, interrogeant à la fois la force de l’amour et le devenir de notre espèce à l’heure de la crise climatique et de l’explosion de la population mondiale. Survivrons-nous ? Comment ? Pourquoi ? Question cruciale, qui échappe à la projection métaphysique pour s’enraciner dans une menace désormais bien concrète.
Surfant sur les divagations d’un complotisme qu’il ne goutte guère, Will, comme à son habitude, a compulsé une TRÈS volumineuse documentation avant de mettre en chantier puis d’accoucher de ce très beau bébé de 323 pages qui dégage la perspective d’un futur où l’amour nous sauvera peut-être, mais pas comme nous le pensons (parce que sinon ça ne serait toujours pas fun). Appliquant à son écriture le rythme d’une compo rock (n’oubliez pas que le Monsieur est aussi musicien et producteur), tenant son récit d’une main douce mais ferme (ah oui, le Monsieur est aussi un cavalier accompli qui tient aussi bien son cheval que sa plume), Will affirme une fois de plus qu’il possède un style propre, un univers spécifique d’une incroyable richesse.
Un vent de folie
Et le sens des séquences coups de poing : mémorable, le passage où Icarus et les membres de son nouveau groupe partent enterrer dans le désert une tête de chaman momifiée piquée à un producteur lors d’une soirée arrosée, le tout sous l’œil fasciné et enthousiaste de la presse convoquée à bon escient par un manager malin. Je vous laisse parcourir ces pages complètement dingues qui ne sont pas sans évoquer le sort réservé à la dépouille de Gram Parsons, rocker de son état, incinéré par son pote Phil Kaufman dans les sables du parc national de Joshua Tree. Eh oui, once a rocker, always a rocker. Philippe Will a beau s’interroger sur les mystères de l’amour, il n’oublie pas ce pendant essentiel de sa propre vie, ni les fondamentaux de la communication, autre discipline où il excelle.
Des scènes aussi barrées ancrées cependant dans un solide terreau de véracité historique et scientifique, le roman en regorge, ne laissant aucun temps mort au lecteur qui se retrouve embarqué avec Icarus dans cette quête frénétique de l’amour plus fort que la mort. Car c’est initialement de cela qu’il s’agit. Fusionnant l’univers très froid de la littérature d’anticipation, le côté complètement foutraque des backstages, l’omniprésence oppressante de la technologie qui assujettit au lieu de libérer, Will s’offre ici une relecture anthologique du mythe d’Eros et de Thanatos. Elle vous laissera en tête bien plus qu’une histoire : des flashs, une sensation, une atmosphère, comme un vent de folie alimenté de riffs de gratte et de métempsychose.
Merci à Philippe Will pour son temps, ses réponses, sa dédicace.
Et plus si affinités