Oyez, oyez, braves gens, la lamentable et très judicieuse histoire de The Unstable boys, groupe légendaire, mais maudit, qui implosa au crépuscule des Sixties, illustrant une fois de plus la grande escroquerie du rock’n’roll. Lisez, lisez les pages d’un roman au goût amer, qui évoque les visages démoniaque et angélique de cet univers si particulier que Nick Kent respire depuis des décennies.
Vivre le rock de l’intérieur
Les coulisses du rock, Nick Kent les connaît bien. Très bien même. Pas pour rien qu’il affirme qu’ «unrock criticest un journaliste qui ne se contente pas d’écrire sur le rock mais vit comme les rockers» dixit Wikipedia. Il a mis la chose en application, et ça a bien failli le tuer, pour preuve le trépidant Apathy for the devil, mémoires destructrices où il déballe sa vie de reporter gonzo marqué au fer rouge par les enseignements de Lester Bang. En bon disciple du critique musical le plus barré des US et auteur très inspiré de l’emblématique magazine Creem, Kent a assisté à l’ascension des Rolling Stones, à la naissance du punk, de The Smiths, il a connu l’Angleterre de Tatcher, a été ressuscité par Iggy Pop…
Il a vécu tout cela de l’intérieur, comme un coryphée rongé de came, un confident des stars en pleine défonce, un héraut qui porte fidèlement l’esprit de ces années à la fois glorieuses et médiocres, où les talents les plus rares côtoyaient le fake le plus navrant, quand ils ne se confondaient pas au sein de personnalités borderline à l’extrême. Ce sont ces personnalités qu’on retrouve en germe de The Unstable Boys, une fable grinçante sur les splendeurs hypocrites et les misères bien réelles du rock. S’appuyant sur son expérience, ses souvenirs, sa connaissance du milieu, de ses codes et de ses transgressions, Kent livre ici son premier roman : il était temps, après cinquante ans, à écrire des chroniques d’albums, de concert, de groupes pour NME, The Face, Spin The Guardian, Libération, Rock & Folk, Les Incorruptibles…
Le souvenir d’une énergie incroyable
Il était temps également à l’heure où le rock, distancé par l’électro et le rap, perd de son aura, de sa créativité, de sa force d’impact. The Unstable boys réveille les spectres d’une époque magnifique et terrible, deux visages incarnés par The Boy et Ral Coombes, membres fondateurs de cette formation météorique à la réputation sulfureuse. S’ils avaient su tenir leurs égos en laisse, s’ils n’avaient pas sombré dans la came et la suffisance, peut-être The Unstable boys auraient survécu. Mais il en fut autrement, et il ne reste d’eux que le souvenir d’une énergie, d’un potentiel incroyable, au travers de trop rares enregistrements devenus cultes pour des fans transis. Parmi eux, un auteur de polars en pleine crise de la quarantaine qui décide de produire un documentaire sur ce mythe, quitte à s’en vanter dans un magazine.
Une initiative que le pauvre garçon va vite regretter, quand débarque sur son paillasson The Boy en personne, parfaitement identifiable malgré ses 70 ans et bien décidé à prendre sa revanche sur la vie. Car ce que l’auteur de polar et fan transi ignore, c’est que The Boy est un manipulateur, un parasite, un escroc. Depuis son enfance du reste. S’il a voulu faire du rock, c’est pour briller, flatter sa personne, et il compte bien reprendre la main après des années de vache maigre. À l’inverse, Ral Coombes, musicien de génie, compositeur habité, véritable artiste, a choisi de sombrer dans l’oubli, de s’écarter du grand cirque qu’est l’industrie musicale. Frappé par le destin, il s’est retranché en Hollande, où un pigiste engagé par l’auteur de polar, tente de le débusquer. Car pas de documentaire ni de livre, sans rassembler ces deux visages clés de The Unstable boys.
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Les pires aspects de l’adulation
Mais ces visages sont ils réconciliables ? Ont-ils jamais été complices ? C’est la question posée par ce livre, qui donne à voir l’envers du décor, non pas les backstages, documentés maintes fois, mais les coulisses psychiques de ce show, ce qui se joue dans les esprits, les cerveaux et que les fans ignorent, aveuglés qu’ils sont pas les paillettes et la vie rêvée des célébrités. Mais comme l’explique Ral en regardant la vidéo d’une de leurs prestations : «Revoir mon vieux chanteur dans toute sa splendeur ricanante m’a rappelé les pires aspects de l’adulation rock, cette manière qu’ont les fans de vénérer aveuglément des gens totalement creux, de percevoir chez eux une profondeur et une dignité dont ils sont tout bonnement dénués.» Lucide, Ral, très lucide, et sur le caractère manipulateur et sans pitié de son ancien frontman, et sur l’aveuglement d’un public en quête d’une liberté transgressive qui n’est que du vent.
Le constat est sans appel, jusque dans la conclusion de ce roman très juste. Les sirènes du rock’n’roll sont aussi dangereuses que celles de l’Odyssée. Leur céder, c’est être dévoré. Au finish, le parcours suicidaire de The Unstable boys fait écho à bien d’autres trajectoires du même type, un hommage un brin écœuré aux crashes de milliers de formations prometteuses, mais rattrapées par la faiblesse des humains qui les composaient. N’en reste que le souvenir ébloui du peu de public qui s’y était intéressé et identifié. Et la musique dans tout ça ? Un prétexte plus qu’une finalité, c’est là le drame. Fataliste, Nick Kent contemple ce champ/chant de ruines. Comme le chante très bien Liam Gallagher d’Oasis (reflet réel de The Unstable Boys s’il en est) dans « Rock’n’roll star » :
« Tonight, I’m a rock ‘n’ roll star
You’re not down with who I am
Look at you now, you’re all in my hands Tonight ».
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Une histoire de puissance éphémère et illusoire, qui s’effrite avec le temps qui passe et les souvenirs qui s’effacent. Nostalgie ? Soulagement ? Un peu des deux ? Le roman de Kent ne tranche pas et c’est sa subtilité autant que sa sagesse. « It’s just rock’n’roll. »
Et plus si affinités
Pour en savoir plus, consultez la page consacrée au roman The Unstable boys par les éditions Sonatine.