Romain Slocombe, nous en avons déjà parlé avec La Débâcle. Ce récit évoquait l’Exode dans toute son horreur, sa folie, et il nous avait particulièrement marqués, par sa justesse, sa documentation, sa perception aiguë d’un effondrement social, moral. Fin connaisseur des heures sombres de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation, Slocombe n’a pas son pareil pour explorer cette période complexe. Il le prouve de nouveau avec Une sale Française. Publié en janvier 2024, ce roman fondé sur une histoire vraie retrace le destin croisé de deux femmes aux identités troublantes, éclairant ainsi les univers, les logiques de la Collaboration et de la Résistance. Et leur étrange proximité.
Manipulation, dénonciation et meurtre
L’histoire s’articule autour d’Aline Beaucaire. Nous sommes en pleine guerre : cette Alsacienne est employée dans un hôtel allemand. C’est que l’Alsace a été annexée par le Reich. La jeune femme, bien que mariée à un prisonnier de guerre et mère d’un petit garçon qu’elle a laissé en garde à ses parents, tombe amoureuse d’un pilote, aussi séduisant que mystérieux, trempant visiblement dans des histoires louches. Affabulateur ? Malfrat ? Espion pour le compte des nazis ? Agent double ?
Ensemble, ils franchissent clandestinement la ligne de démarcation, rêvant de rejoindre Alger via Marseille. Marseille où ils s’arrêtent, fréquentent la pègre, collabo ou résistante, renouent au fil des jours avec des connaissances peu recommandables qui laissent dans leur sillage un parfum de manipulation, de dénonciation et de meurtre qui touche les opposants au nazisme réfugiés dans la cité phocéenne.
Une documentation historique solide
Leur périple prend une tournure dramatique quand Aline, arrêtée comme son amant, est confrontée à des accusations graves : les enquêteurs français la soupçonnent d’être la « Panthère rouge », espionne pour le compte de la Gestapo. À moins que la dame, un peu trop naïve, ne soit victime des circonstances, d’une paronymie totalement hasardeuse, mais aux conséquences tragiques ? Vérité ? Mensonge ? Aline est-elle celle qu’elle prétend ? Slocombe laissera son lecteur en proie au doute jusqu’à la dernière page.
Ce faisant, il lui permet de plonger au cœur même des opérations d’infiltration menées par les services de renseignement nazis au sein des territoires occupés. Ce n’est rien de dire que l’époque est troublée, qu’on ne peut faire confiance à personne. Méthodique, Slocombe s’appuie sur une documentation historique solide : rapports de police, archives déclassifiées, alternent avec les explications de l’héroïne, lettre après lettre. La chronologie dévoile un récit au long cours, qui s’étale jusque pendant l’Épuration, dans un temps où il est difficile de recueillir les témoignages, de recouper les informations.
Zones grises et introspection
Doucement pourtant, le tableau se précisera. Et l’intrigue policière se doublera progressivement d’une réflexion sur la manière dont la nature humaine s’adapte face à l’adversité : choix moraux ambigus, zones grises de la collaboration et de la résistance, Slocombe s’éloigne des clichés manichéens pour proposer un portrait plus nuancé d’un pays occupé où chacun cherche à survivre avant tout. Difficile, en parcourant ces lignes, de ne pas s’interroger : qu’aurions-nous fait à la place d’Aline ?
Cette introspection est renforcée par une écriture incisive, qui croise les informations, multiplie les points de vue, joue avec les convictions du lecteur. Il ne s’agit pas seulement de réveiller le souvenir d’une personne, d’une époque, mais d’en faire ressentir les problématiques, les doutes, les contradictions. La menace est là, et le lecteur la ressent tandis qu’il s’interroge sur l’identité, le caractère d’Aline dont on n’arrive jamais à déterminer si elle est une idiote qui se fait manipuler ou une espionne de la pire espèce.
Avec Une sale Française, Romain Slocombe confirme son talent pour explorer les recoins obscurs de l’histoire française. Ce roman, profondément perturbant, nous emporte de l’autre côté du miroir, loin des élans héroïques, de la volonté de liberté, pour questionner la veulerie au quotidien, la bêtise, l’aveuglement banalisés. On aimerait cracher sur Aline et sa niaiserie, mais au final, nous n’aurions peut-être pas fait mieux.
Et plus si affinités ?
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