Salon de la photo 2016 : Jean Marquis, un regard lumineux

marquis

Dans le cadre d’un Salon de la photo à échelle anthropique, il était naturel, comme l’a fait Simon Edwards, le directeur artistique de cette rituelle manifestation, de rendre hommage à l’un des photographes humanistes vivants, en l’occurrence au Nordiste Jean Marquis, né à Armentières en 1926. Débarqué à Paris après guerre, Jean épouse Susie en 1950. Celle-ci lui présente un cousin à elle qui n’est autre que… Robert Capa, lequel l’incite à travailler au labo de Pierre Grassmann (le futur Pictorial Service), au “contact”, dans tous les sens du terme, des planches de David Seymour, Werner Bischof, Henri Cartier-Bresson, avant de l’engager comme reporter-photographe à la sélecte agence Magnum. Un rôle qu’il tiendra de 1953 à 1957, avant de voler de ses propres ailes en photographe de presse indépendant. Comme souvent, pour ne pas dire toujours, les photos d’un illustrateur graphique sont plus connues ou reconnues, à l’échelle locale, nationale et, parfois, internationale, que leur auteur. Cela fut le cas jusqu’à Khaldei, dont l’histoire a bien retenu, après sa publication en masse, le cliché (peu importe ici qu’il ait été mis en scène et retouché !) de la prise du Reichstag par l’armée rouge, une vue choisie parmi celles prises le 2 mai 1945, attribuée, il y a une vingtaine d’années encore, à l’agence Tass plutôt qu’à un photographe particulier.

Et il est vrai qu’une agence peut dégager son propre style, imprimer à l’histoire non seulement sa version mais sa vision. Magnum a eu ses partis pris (cf. le riche cahier publié par Libération après la mort de Fidel Castro traitant de la Révolution cubaine, illustré par ses plus fameux photographes), son appareillage ultra léger (le Leica, principalement), ses grandes figures, ses légendes et ses coryphées chargées de les proclamer et de les faire circuler. L’agence a été une pépinière de talents où ont pu se côtoyer les reporters dont la renommée était déjà faite et ceux qu’il nous reste à découvrir, humbles artisans, précieux déchiffreurs d’une réalité quotidienne, sublimes révélateurs de vérités discrètes et de beautés encore silencieuses. Jean Marquis aura été un collaborateur, régulier ou plus occasionnel, de magazines à fort tirage (“très bien pour allumer le feu, donc”, comme disait Coluche) comme L’Express, Time-Life, Science et Vie, sans oublier, bien sûr, Paris Match. Il a, grâce à l’art du noir en blanc amorcé par Niépce – à l’alchimie des sels d’argent –, su “documenter” (comme on dit de nos jours en un transitif franglais) la vie politique, et la vie tout court, durant une quarantaine d’années, de la quatrième à la cinquième République.

Marquis a produit une galerie de portraits, d’hommes célèbres (Charles de Gaulle en 1965 et 1969, Pierre Mendès-France en 1955, Michel Debré en 1968), de top models (Bettina, Suzy Parker, Sophie Litvak), de starlettes (B.B.), d’écrivains (Marguerite Duras en 1967, Françoise Sagan en 1968, Louis Aragon), d’artistes (Gina Lollobrigida face à Capa à l’Hôtel Meurice en 1953, Sidney Bechet aux Arènes de Lutèce en 1953, Eddie Constantine et Leslie Caron au Balajo en 1956, Chet Baker seul en 1963, Ella Fitzgerald à l’inauguration de la Fondation Maeght en 1964, Salvador Dali jouant avec des chaînes à la Fonderie Susse en 1964) et d’anonymes pris dans la rue (Enfants jouant sur la place des 200 colonnes, à Alger, en 1958), sur leur lieu de travail (les couturières des ateliers Dior en 1963, le Jeune potier pétrissant l’argile avec le pied à Téhéran, en 1972, les Jeunes filles derrière un métier à tisser les tapis), sur les docks ou en route pour la mine (la série Pont-de-la-Deüle de 1953), au café (Dans un pub, Île de Man, 1955) et composer avec une nature plus vivante que morte ou avec de spectaculaires manufactures des images d’une clarté, d’un angle et d’un cadrage idéaux. Chacun aura ses préférences pour ce qui est des grands tirages accrochés au Salon, dans un parcours en spirale sans ordre imposé, sur des cimaises reliant différentes périodes, comme on dit de celles d’un peintre, diverses thématiques et autant de motifs. Ses Dockers (ou deux corps au repos), assis sur leurs propres chaînes de servitude, saisis de dos à Liverpool en 1955, attendant un paquebot pointant à l’horizon, qu’ils auront à prendre ou à décharger, traduit l’ironie de notre destinée.

Sa vue verticale du Four solaire de Mont-Louis, en 1958, est, tout au contraire, une structure géométrique, abstraite, arachnéenne, vertigineuse, relevant, comme celle de l’Observatoire radio-télescopique de Nançay (1960), de la tendance des années vingt dite de la “Nouvelle Objectivité”. Marquis est plus porté sur le flânerie que sur le baroud (sur le reportage de guerre à la Capa ou à la Gerda Taro), sur le travail que sur l’oisiveté, sur la tranquillité d’esprit que sur le vacarme, sur la méditation que sur la démonstration, sur la contemplation que sur la fixation de l’”instant décisif” cher à Cartier-Bresson (cf. Deux péniches vues du pont de l’Hippodrome Lambersart, 1953). Il note les faits et gestes du petit peuple (Foire du Trône, 1953, Rue Mouffetard, 1957), la vie nocturne au marché des Halles (Le Bar-restaurant “La Tour de Montlhéry”, 1967). Il capte ce qu’il appelle le “théâtre de la rue” dès ses tout premiers clichés (Rue du Petit Musc, 1951). Il pressent, avec les poètes, la transformation en profondeur des paysages et des campagnes (cf. le passage du XIXe au XXe siècle de la Corrèze signifié par Les Pâtons sont apportés au four pour la cuisson, 1966). Il témoigne de son temps (Grève des chemins de fer, Gare Montparnasse, 1953, Manifestation rue de Lyon, à Paris, en mai 68). Mais toujours à sa manière.

Et plus si affinités

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Nicolas Villodre

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