Il ne vous reste que peu de temps pour vous précipiter à l’exposition Alchimies de Sarah Moon au Muséum national d’Histoire naturelle (prolongée jusqu’au 1er décembre 2013).
Après avoir pénétré dans les sous-sols du Muséum, passé la porte d’une salle sombre bercée par le leitmotiv du son des vidéos diffusées, vous découvrirez des séries photographiques principalement en noir et blanc, quelques photographies couleurs, ayant toutes pour sujet le monde végétal, animal voire minéral. Certaines sont datées des années 90 et connues des aficionados (Le Pavot, Le Cri, Histoires naturelles, Le Marabout, Le Toucan, etc.), d’autres sont inédites et le fruit du travail effectué cet été dans la Ménagerie du Jardin des plantes et dans les collections de la zoothèque.
En premier lieu il est admirable de découvrir de près l’approche de la dégradation. Au cœur d’une époque où tout est pixels, haute définition, propreté, vous vous trouvez ici face à un travail qui sublime l’accident, l’indéfini. Une esthétique de la nuance, c’est-à-dire une esthétique comprise non comme une recherche de la perfection, mais une exploration de la gamme qui s’étend entre le noir et le blanc. Une nuance de gris où l’érosion du support photographique tend à révéler toute la subtilité d’une vision et de son après. Sarah Moon nous offre ici un regard d’une grande beauté et d’une grande délicatesse poétiques sur le monde qui nous entoure.
Les oiseaux deviennent de véritables sujets, l’objet d’un véritable portrait. Leurs yeux nous transpercent tout comme nous pourrions l’être lors d’une rencontre avec l’un de nos pairs. Les fleurs pourraient être de belles femmes offrant leurs teintes chatoyantes à la photographe. Le marabout se retire de la piste, comme un vieil acteur quitterait la scène. Le sujet, vivant ou embaumé, de ces photographies, nous laisse imergés par notre univers tout autant que par les sentiments que nous y faisons naître.
Si la mystification de la vie qui se présente à vous durant cette exposition est celle de Sarah Moon, nous touchons au sublime lorsque notre regard, nos souvenirs, se fondent avec le sien. Et c’est bien ce qui s’opère durant cette exposition. Un glissement de sa réalité dans la nôtre. Son affect a la force d’atteindre le nôtre. On a en effet affaire ici à une sensibilité incarnée dans un cliché photographique et non pas à la simple fixation sur pellicule d’un cadrage, d’un choix d’exposition, d’un sujet. Voici peut être toute la différence entre un photographe et un artiste. Un technicien et un magicien. Une monstration et une expression.
Laissez-vous apprivoiser par ces toucans, marabouts, éléphants, lionnes, chiens, ces arbres et ces fleurs. Acceptez le trouble de cette frontière abolie, celle que nous maintenons entre la vie et la mort, le passé et le présent, le bourreau et la victime, le monde qui nous entoure et l’humain. Ici les uns se nourrissent des autres. Se fondent dans un sublime autre chose qui ressemble délicieusement à l’expérience de vie. La véritable. Ainsi, tout à la fois palpable et impalpable. L’instant est ici saisi dans toute sa temporalité, non seulement dans le premier cercle de réalité, la vision présente, mais celle où se superposent tout notre vécu et nos aspirations futures. La mélancolie du souvenir, l’espoir qui existe dans la projection au cœur de ce qui est prochain.
Trouvez donc votre écho dans cette superbe exposition. Sûrement s’y trouve-t-il. Résonnant, mystérieux mais puissant. Insidieux. Comme le sont ces instincts qui parcourent nos vies. Il s’agit ici de leur tendre l’oreille.
Et plus si affinités :