Scène de crime – La disparue du Cecil Hotel : derrière le true crime, la question de la maladie mentale

affiche du true crime documentaire Scène de crime - La disparue du Cecil Hotel

31 janvier 2013 : Elisa Lam disparaît. Sans laisser d’autres traces que ses affaires dans sa chambre d’hôtel californienne et une ultime vidéo d’elle captée par une caméra de surveillance dans un des ascenseurs de l’établissement. On la retrouvera 20 jours plus tard, flottant dans un réservoir d’eau installé sur le toit du bâtiment. Noyée. Un accident ? Un suicide ? Un meurtre ? Tandis que l’enquête piétine, les internautes se déchaînent, inspirés par l’étrangeté de ces quelques minutes de film et la réputation déplorable de l’hôtel. C’est là le véritable sujet de la série documentaire Scène de crime – La disparue du Cecil Hotel.

Réalisée par Joe Berlinger à qui l’on doit notamment Extremely Wicked, shockingly evil and vile et Conversations with a killer : the Ted Bundy tapes, ce qui n’est pas rien, Scène de crime – La disparue du Cecil HotelCrime Scene: The Vanishing at the Cecil Hotel pour nos amis anglo-saxons – vient enrichir la collection déjà bien fournie des true crimes propulsés par Netflix, un genre dans lequel la plateforme de VoD excelle désormais, sinon d’un point de vue qualitatif, du moins dans la cadence de production. Avec une volonté répétée de superposer l’analyse d’un fait divers sanglant et tragique, son ancrage dans une réalité sociale et historique, la manière dont l’opinion publique s’en est saisie, les croyances que cette appropriation a engendrées.

Un cas d’école

Avec l’affaire Lam, on atteint des sommets en la matière ; tous les ingrédients sont rassemblés pour créer un cas d’école en matière d’affaire criminelle. Une jeune fille bipolaire s’épanche sur son compte Tumblr ; elle décide de partir conquérir son indépendance dans un voyage autour du monde. Tout se passe à peu près bien jusqu’à ce qu’elle débarque à Los Angeles. Son lieu de séjour : le Cecil Hotel.

  • L’établissement a sinistre réputation ; on n’y compte plus les suicides, overdoses, meurtres, viols … depuis sa création dans les années 20. Richard Ramirez y a séjourné, d’autres assassins et criminels. Avec son hall emblématique et ses couloirs sales, l’endroit est devenu légendaire au point d’inspirer une saison d’American Horror Story. Quand on sait l’intérêt que Ryan Murphy porte aux mythes urbains qui constituent le revers ténébreux du rêve américain, on se doute que la popularité du lieu n’est pas usurpée.
  • L’hôtel se situe au coeur de Skid Row, un des quartiers les plus dangereux de L.A., une sorte de territoire de non droit où croupissent SDF, prostitués, drogués, anciens prisonniers, malades mentaux virés des hôpitaux psychiatriques. Un véritable zoo humain, un freak show à ciel ouvert où s’entasse toute la misère du monde, où la violence est omniprésente. Une véritable honte dans un pays aussi riche, et une prise de risque absolue pour les touristes qui débarquent sans imaginer un instant être confrontés à pareille jungle.
  • Des policiers débordés par la situation, en sous-effectif, qui font ce qu’ils peuvent, appliquent la procédure pour retrouver cette gamine disparue mystérieusement sans laisser de traces ou presque.
  • Des internautes en manque existentiel qui vont se précipiter sur la vidéo diffusée sur le web en quête de témoins … et vont mener leur propre enquête. En faisant n’importe quoi, quitte à accuser à tort et à travers n’importe qui. Et à s’instituer en tribunal cyberpopulaire.

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Cyberdétective malgré soi

L’intérêt de la série est justement de nous placer dans la même situation. Si on regarde cette affaire objectivement et d’un point de vue purement scientifique, on la relate en une demi-page. Une jeune fille mentalement instable, médicamentée, qui part à l’aventure en pensant que le monde est rempli de bisounours. Grisée par ce vent de liberté, elle ralentit son traitement. Crise paranoïaque, délire de persécution … tout s’imbrique et on comprend mieux comment Elisa Lam a fini au fond d’une cuve, en mode Ophélie des réseaux sociaux. Une fin d’une tristesse absolue qui ne légitimait pas le déversoir médiatique engendré. Vous voyez ? Cela tient à peine le paragraphe. Pourtant ce banal fait divers a embrasé la toile. Et le déroulement de la série vous le fait sentir. Car immanquablement, au fil des épisodes, vous allez saisir votre téléphone portable et aller fouiner.

Taper “elisa lam”, checker la page Wikipedia dédiée, parcourir les articles, visionner la fameuse vidéo. Échanger avec ceux qui regardent le documentaire avec vous. Tomber sur le Tumblr de cette malheureuse, parcourir ses posts, vous interroger … Bref vous allez vous transformer sans même vous en rendre compte en cyberdétective, tout comme ceux qui sautèrent sur cette histoire et en firent un succès médiatique reposant sur du vent. Un vent qui emporta un certain Morbid, musicien black metal qui eut la mauvaise idée de poster une vidéo racontant son passage dans l’hotel et que la communauté accusa de meurtre, harcela, menaça. Alors qu’il n’y était pour rien.

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Enquêter, accuser … une raison d’exister ?

Et quand on arrive au terme de cette équipée, on se sent tout con, un peu honteux et terrifié. Au final, chacun d’entre nous peut vriller de cette manière, accuser aveuglément et sans preuve, se laisser emporter par ses émotions, sa colère, son désir de vengeance. Et puis il y a un autre sentiment, très dérangeant. Tous ces gens qui ont tenté d’élucider le mystère de la mort d’Elisa Lam depuis leur canapé, devant leur ordinateur, youtubeurs célèbres ou simples quidams, que cherchaient-ils vraiment en constituant cette meute ? De la visibilité ? Une façon de tromper l’ennui, le vide ? Une raison d’exister ? La sensation de se sentir écouté, important ? Quitte à réfuter le travail d’enquêteurs expérimentés, de légistes reconnus ?

C’est d’autant plus inquiétant que les points importants de cette affaire, personne ne les met en évidence :

  • Comment a-t-on pu laisser un hôtel ouvert dans une zone aussi risquée ? Quel marketeux irresponsable a eu l’idée de scinder le lieu en deux espaces accueillant d’un côté des clients aisés, de l’autre des personnes en extrême précarité, prêtes à tout pour se payer leur dose de came ?
  • Comment une métropole comme Los Angeles peut-elle laisser des gens dans pareille indigence ? C’est proprement scandaleux, irresponsable et criminel.
  • Comment une gosse aussi fragile que Elisa Lam, dépendante de son traitement, a-t-elle pu entamer ce voyage seule, sans aucun soutien, aucun contrôle ?

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La bipolarité d’Elisa

La question est là, personne parmi la junte d’internautes excités par l’affaire n’a interrogé cette problématique de la maladie mentale. Certes ce n’est ni vendeur ni glamour mais c’est pourtant crucial. Les dernières heures de cette jeune femme ont dû être atroces. Un délire absolument épouvantable jusqu’à la dernière seconde, l’ultime souffle. Parce qu’elle a ralenti la prise de médicaments. Un truc tellement con qu’on n’y pensait même pas, imaginant plutôt qu’elle avait croisé un serial killer, un gang de violeurs … Pourtant il aurait suffi d’une personne un peu avertie pour douter, et peut-être la stopper, appeler ses proches, la mettre en sécurité avant qu’elle ne commette l’irréparable … Maintenant demandons-nous combien d’Elisa Lam aux quatre coins du monde ? Victimes ou assassins ? Car quand on est dans cet état, on passe facilement aux actes, sur soi ou sur autrui.

Plutôt que d’alimenter les légendes urbaines qui flattent notre ego, il serait bon de s’interroger sur ce point. Scène de crime – La disparue du Cecil Hotel aborde le sujet de manière anecdotique, préférant pointer du doigt l’emballement social media, sans du reste donner d’éléments pour corriger le tir et éduquer les internautes. A quand une sensibilisation sérieuse à la souffrance mentale, et autrement que par blog interposé ou écrit sur le devant d’un énième t-shirt fabriqué dans l’élan juteux du mental wear ? C’est pourtant l’élément essentiel de cette affaire que la bipolarité d’Elisa. Et cela aurait dû être la véritable finalité de cette série que d’expliciter ce point. Netflix, qui se pose en révélateur de tendances, qui peut relancer la vente de bobs sur un seul épisode de Emily in Paris, la pratique du jeu d’échecs avec The Queen’s gambit, en a le pouvoir. Mais en a-t-il envie ?

Et plus si affinités

https://www.netflix.com/fr/title/81183727

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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