Décidément la came fait vendre, surtout de la série. Cannabis s’ajoute à la longue liste de fictions dédiées à ce brûlant sujet pour nous conter les mésaventures de Shams au pays des narcotrafiquants. Un sujet largement exploré mais que Lucie Berloteau traite avec suffisamment de finesse pour ne pas nous lasser, bien au contraire.
Nœud de vipères
Shams donc, fils de Yassine, un gangster parti au placard depuis 15 ans pour un braco qui a mal tourné ; Shams, neveu de Farid parti dealer de la pute et de la came en Andalousie. Farid qui vient justement de disparaître on ne sait trop comment, et dont son épouse, la belle et candide Anna, découvre soudain les activités illicites … et les dettes faramineuses. Parmi les mécontents, le très cultivé et redoutable El Féo, qui compte bien récupérer le fric que Farid lui devait.Et Morphée gros dealer francilien qui a monté son juteux business dans la cité où Shams vit avec sa grand-mère. Shams qui bosse pour Morphée et assure la liaison Paris-Marbella-Paris pour ravitailler son boss avec l’aide de son oncle. Le tout depuis chez sa mémé qui ne supporte plus la main mise des dealers sur sa cité, et compte bien faire le ménage avec l’aide d’une jeune maire idéaliste. Cette dernière va d’ailleurs vite comprendre et à ses dépends qu’elle ne va pas pouvoir agir comme elle l’entend.
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Zones d’ombre et de lumière
Bref un bon gros nœud de vipères qui vont se bouffer entre elles avec plusieurs objectifs :
- savoir ce qu’est vraiment devenu Farid
- retrouver le stock de beuh qui a disparu avec lui
- continuer à vivre et faire du fric sans ce maillon dont l’absence fiche un merdier considérable … et déclenche une réaction en chaîne aussi révélatrice que meurtrière.
Trépidant, Cannabis nous coince dés les premières secondes dans un scénario haletant qui repose en grande partie sur les zones d’ombre et de lumière des protagonistes. Car dans cette histoire, personne n’est ou tout noir ou tout blanc. Beaucoup, beaucoup de gris chez ces héros dissimulant leur part d’humanité sous un vernis d’assurance qui craque de toute part. Tous vont devoir faire leur deuil : d’une personne aimée, d’un statut social, d’une perception de soi-même … et c’est là que réside l’immense et magnifique surprise de cette série.
Profils atypiques
Les acteurs y sont pour beaucoup qui doivent composer ces profils atypiques : citons entre autres Christophe Paou en gros dur qui cache des amours homos illicites en milieu narco ultra-machiste, Kate Moran qui va passer du stade de l’épouse innocente bien dans sa petite vie confortable de bourgeoise au statut de mafiosa intraitable, Jean-Michel Correia en vieux taulard fatigué qui retrouve son amour de jeunesse, Pedro Casablanc en psychopathe aussi féroce que racé …Bref un casting trié sur le volet pour créer le relief de personnages très riches émotionnellement … et qui doivent composer avec une situation sismique : la perturbation des interdépendances propres aux schémas d’approvisionnement et de diffusion de la drogue entre le Maroc, l’Espagne et les cités de quartier. Une opportunité en or que saisissent avec beaucoup de flair et de nuance les scénaristes Hamid Hlioua, Clara Bourreau … et une certaine Virgine Brac à qui l’on doit l’héroïne hors normes Véra Cabral et les polars qui comptent ses exploits.
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Au finish, Cannabis offre une petite tragédie des êtres sur fond de narcotrafic, de survie sociale et de révélation des caractères. Ce n’est pas pour rien que le très brutal « La mort sur le dancefloor » scandé par Rebeka Warrior sur les bits endiablés de Vitalic conclut ces épisodes : « Mors vita magnit facit », ce qui en gros revient à dire que la mort magnifie la vie. C’est justement cette étincelle qui anime chaque personnage, cette excitation, ce frisson du danger, de la transgression. La série en fait état de manière particulièrement juste. C’est à la fois brillant et bien trop court. Tourné en 2016, cette première saison n’a pas eu de suite. On le déplore grandement. Qui sait ? Un jour peut-être ?
Et plus si affinités
Vous pouvez visionner la série Cannabis sur ARTE.