Oxygène, obsession, ordalie : la couture fut la raison de vivre de Cristóbal Balenciaga. Le styliste espagnol a, par ses créations, redéfini l’élégance et la silhouette au XXe siècle, mais à quel prix ? C’est ce que raconte la minisérie Cristobal Balenciaga.
Quelques roses et beaucoup d’épines
Aux commandes de ce programme, un quatuor ibérique : Lourdes Iglesias, Aitor Arregi, Jon Garaño, Jose Mari Goenaga. Objectif : raconter en six épisodes le parcours de Balenciaga, les origines de sa vocation, le succès de sa maison de couture madrilène, son arrivée à Paris en 1937 pour prendre ancrage dans l’univers de la mode française, son combat pour s’imposer face à Dior, sa course à l’innovation, les temps forts de sa carrière que furent la réalisation de la robe de mariée de Fabiola, la future reine des Belges, ou la signature des uniformes d’hôtesses d’Air France.
Un chemin semé de quelques roses et de beaucoup d’épines. L’impossibilité d’afficher au grand jour ses amours homosexuelles avec Władzio Jaworowski d’Attainville, puis, après le décès de ce dernier, avec Ramon Esparza. La période du franquisme, l’Occupation en France, la concurrence forcenée des couturiers parisiens au lendemain de la guerre… L’arrivée du prêt-à-porter, de l’industrialisation du secteur de la mode, l’avènement du marketing, la starisation des grands stylistes…
La couture comme une ascèse
Pour un introverti comme Balenciaga, la modernisation de sa discipline fut un enfer. Et la série le monte très bien : c’est un véritable cours de couture filmé avec beaucoup de grâce, reflétant l’amour du couturier pour le geste sûr, l’observation acérée du tombé et de la forme, l’art de la coupe juste et équilibrée, la maîtrise des étoffes de leurs singularités, la patience et l’exigence d’un travail pensé comme une ascèse. Car Balenciaga aborde son art comme un moine le ferait de son sacerdoce. Discret, pour ne pas dire timide, il s’enferme dans son atelier, refuse de parler aux journalistes.
Rétif à la médiatisation, il n’aime guère le côté « business » qu’il délègue à d’autres. Pour autant, juste dans son approche, plein de bon sens, rigoureux, il sait imposer son style, en faire une référence. Quitte à demander le conseil de sa chère Chanel (excellente Anouk Grimberg), de s’appuyer sur l’ensemble de sa famille pour tenir les rênes de sa filiale espagnole tandis qu’il développe sa maison à l’international. Une croissance qui parfois est freinée par les coups du destin ; mais quand il décidera de se retirer, Balenciaga le fera au sommet de son art, de par sa propre décision et non pas acculé par la faillite.
Une élégance sobre
Pour donner vie à ce personnage réservé, à la limite de l’insaisissable, Alberto San Juan joue la carte de la concentration, de la perfection, de la méticulosité, trahissant sous un calme convenu la nervosité du démiurge rongé de doute. Élégant et posé, d’une beauté sévère, l’acteur façonne un Balenciaga attachant bien que détaché, qui tente comme il peut de neutraliser les émotions qui le submergent, mais dont il a tant besoin pour innover, renouveler les codes sans les bouleverser de fond en comble. Un Balenciaga qui, vieillissant et retiré, accepte d’évoquer le passé devant une journaliste bien décidée à explorer ce mystère que personne jusqu’alors n’a réussi à percer.
Pas de révélations fracassantes à la clé pourtant : la série joue la carte de la pondération, préférant mettre en évidence ce pur plaisir de l’acte créateur, une élévation presque mystique, régulièrement heurtée par la dureté de la réalité économique, financière et sociale, du rapport aux autres. Cette retenue du styliste couturier précis, recueilli lorsqu’il plie et assemble, se reflète dans la mise en valeur de ses œuvres, des pièces d’une élégance sobre, où la coupe et la structure priment les ornements. Cette distance presque monastique maintenue avec un monde extérieur perçu comme corrupteur et dangereux est résumée en une tournure épurée et authentique : « moi, je veux coudre, c’est tout. »
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