On va tout de suite taper dans le dur : impossible de visionner les 8 épisodes de la série Dr Death sans éprouver un malaise dérivant vers la crise d’angoisse. Parce que ce récit est aussi saignant que glaçant. Parce qu’il nous confronte à un personnage de psychopathe absolument terrifiant. Parce que les faits rapportés sont vrais, et cela ne va pas rassurer les phobiques du scalpel et les sceptiques de la médecine.
Un véritable carnage
Dr Death donc : surnom très médiatisé et au final mérité de Christopher Duntsch, neurochirurgien texan qui tient plus du boucher que du médecin. Dans son sillage, des dizaines d’interventions ratées, dont les victimes ressortent handicapées, paralysées quand ce n’est pas pour atterrir à la morgue. Un véritable carnage que le toubib met automatiquement sur le compte d’une allergie, d’une équipe incapable, d’une prétendue tumeur ; jamais de remise en question sur ses compétences qu’il considère comme exceptionnelles.
Et aucune dénonciation de la part des collègues de ce danger public, encore moins des infirmiers qui risquent d’y perdre leur job ou des administrateurs d’hôpitaux privés assujettis à la loi du rendement. Exploitant un système de santé fondé sur l’argent et le secret, Duntsch jouit d’une impunité quasi-totale, jusqu’au jour où deux de ses confrères, Randall Kirby et Robert Henderson, décident de dénoncer les agissements de ce monstre tortionnaire qu’ils considèrent comme un tueur en série. Problème : les autorités médicales et judiciaires ne semblent guère pressées d’intervenir.
Un vide juridique béant
C’est ici que le true crime de Patrick Macmanus devient particulièrement intéressant, car il met en évidence les dysfonctionnements d’un système pour le moins pervers. Personne n’y est responsable devant la loi ; dans ce vide juridique béant, Duntsch s’infiltre avec une facilité d’autant plus déconcertante que ce manipulateur né sait jouer de son charme et de son ego pour endormir les soupçons, détourner les attentions, déstabiliser les interlocuteurs. Et quand le charme n’opère plus, il passe à la violence, verbale, psychologique, physique.
Est-il juste un incapable ? Un génie rongé par la drogue et l’alcool ? Ou plus vraisemblablement un fou mégalomane et dangereux ? Comment a-t-on pu le laisser charcuter des malades aussi longtemps sans que sa réputation en soit ternie ? La série, inspirée du podcast «Dr LaMort» relate le difficile cheminement de la justice pour neutraliser ce dément et le faire condamner à vie. Joshua Jackson y plante un personnage proprement terrifiant, un véritable cauchemar ambulant qui profite de la détresse de malades diminués par la douleur.
Dr. Death : The undoctored story
Des patients qui semblent bien absents de la traque policière menée par Kirby et Henderson (Christian Slater et Alec Baldwin) aux côtés de Michelle Shughart, une jeune procureure émue par leur récit (Anna Sophia Robb). En réalité, ces patients ont été très actifs, tentant de contacter la police, des avocats, les hautes instances sanitaires, remuant ciel et terre pour se faire entendre et mettre leur bourreau hors d’état de nuire. La série en parle trop peu, tout comme elle ergote sur le caractère sociopathe pourtant avéré de Duntsch.
Voilà pourquoi il convient, pour avoir une vue d’ensemble équitable et plus fouillée, de visionner le documentaire Dr. Death : The undoctored story réalisé par Sara Mast qui a croisé archives, témoignages, entretiens afin de reconstituer le parcours de ce criminel tout à fait unique en son genre. On y pointe du doigt la marchandisation du secteur de la santé. Duntsch a été engagé sur la foi de recommandations prestigieuses avec pour objectif de faire de l’argent en attirant toujours plus de patients, qui, une fois mutilés, n’avaient plus que le droit de se taire.
Le seul maître à bord
Dr Death donne à réfléchir à plus d’un titre. La série comme le documentaire font froid dans le dos en détaillant le portrait d’un psychopathe du bistouri dont personne ne questionne ni ne stoppe les agissements, même quand une patiente se vide de son sang alors qu’il lui transforme l’épine dorsale en charpie. Le chirurgien demeure le seul maître à bord pendant une opération, même s’il agit n’importe comment : c’est la règle hiérarchique qui domine et tous s’y soumettent, même si le médecin en charge trahit le serment d’Hippocrate sous les yeux de son équipe.
Autre sujet de polémique : combien de futurs Dr. Death à l’heure où on brade l’enseignement médical, où on plonge l’hôpital public dans la précarité, où les soignants sont laminés de fatigue, mal payés, sous-équipés ? Notre système de santé s’américanise : qu’adviendra-t-il si les boards directeurs de structures privées préfèrent se taire pour sauver leur réputation et leurs dividendes que de dénoncer les crimes d’un toubib qui les menace de la ruine ? La loi texane aurait été différente, on aurait pu stopper ce fou avant qu’il n’accumule une trentaine de victimes. À méditer.