Cette semaine, c’est Ennemi public qui retient notre attention. Il y a de quoi : outre un suspense haletant, une interprétation puissante et des images travaillées, la série belge s’appuie sur l’affaire Dutroux pour tisser un scénario alambiqué et oppressant qui n’est pas sans évoquer notre rapport souvent viscéral à la notion de justice.
Une mission ou une punition ?
L’intrigue est simple : assassin d’enfants, Guy Béranger est libéré sous conditions après 20 ans d’incarcération. On l’achemine dans une abbaye des Ardennes, proche du village de Vielsart, pour qu’il accomplisse son noviciat sous la férule du jeune moine Lucas Stassart. Problème : la population ne regarde pas son arrivée d’un œil bienveillant au contraire : la proximité de ce meurtrier inquiète les habitants, qui craignent pour la sécurité de leurs petits. Pour protéger Béranger et le surveiller, l’inspectrice Chloé Muller fait partie du voyage, une mission qui a tout d’une punition, la demoiselle ayant abattu un suspect lors d’une arrestation. Sa hiérarchie l’exile donc pour étouffer l’affaire, mais bien sûr rien ne va se passer normalement. Béranger à peine installée dans la communauté, une fillette disparaît, qu’on retrouve morte dans une église, … une nouvelle victime du tueur qui n’a pu résister à ses pulsions ?
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Les fantasmes des uns, les intérêts des autres
À partir de ce point de départ, les créateurs du concept, Antoine Bours, Christopher Yates, Gilles de Voghel et Mathieu Frances, tissent une intrigue complexe où les fantasmes des uns, les intérêts des autres, les terreurs de tous participent d’une véritable folie de vengeance, de destruction et de mort dont on ne comprendra les clés que dans les ultimes minutes. Car les choses ne sont pas si simples bien sûr. Et les évidences sont extrêmement trompeuses, … tout comme les passions, la colère, la violence. L’affaire Dutroux donc ? On penserait également à Fourniret, à Chanal, à l’affaire du petit Gregory… toutes ces histoires sordides où l’enfance innocente est bafouée, salie, torturée et éradiquée. Or justement, le scénario va plus loin pour disséquer les réactions en chaîne que provoque l’horreur dans le cœur et l’esprit d’un public qui manque de recul, à raison. C’est que le personnage de Béranger, sorte de Hannibal Lecter flamand, est un manipulateur expert, qui tue par le verbe aussi bien que par la lame.
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Qui ici est l’ennemi public ?
Fascinant, Angelo Bison construit un personnage effrayant par sa puissance d’anéantissement, sa force de purification : pervers, angélique, monstre, humain, on ne sait jamais et cela perturbe profondément. Tous comme les autres protagonistes de ce thriller, ambigus, perdus, forts, fragiles, consumés d’excès et de brutalité à fleur de peau, rongés de culpabilité pour certains, froids et sans pitié pour d’autres. Ces portraits font toute la saveur de la série, qui jamais ne perd de son rythme, de son intensité. Pour un peu on respirerait ici le parfum empoisonné des romans de Jean-Christophe Grangé, confondu avec l’air glacial et pénétrant de la forêt des Ardennes. Une nature impériale, autoritaire, qui étouffe les êtres perdus dans cette bourgade sans avenir, frappée par la crise. Alors qui ici est l’ennemi public ?On se le demande et les auteurs aussi bien que les interprètes savent y faire pour maintenir l’attention. On appréciera donc la grande qualité de ce produit belge de très belle facture qui en dit long sur les capacités et la créativité de nos voisins. Attention cependant : quand on a attaqué le premier épisode, on avale les autres à la chaîne tant le récit est addictif… et appelle une suite ?