Attention série hautement addictive, risque de binge watching force 10 et crash émotionnel en fin de programme because attachement profond aux personnages d’Hatufim. Il y a de quoi. La série de Gideon Raff a tout pour séduire et plus encore. Explications.
Des héros en sale état
Hatufim: pas une nouveauté vu que ce feuilleton israélien date de 2010 mais un incontournable à inscrire au panthéon des programmes de haut vol, aussi justes qu’essentiels (et qui a du reste inspiré le célèbre Homeland américain). Le pitch résumé dans le titre qui veut dire « enlevés » en hébreu : 17 ans après leur rapt par un groupuscule terroriste islamiste, trois soldats israéliens sont enfin relâchés et rendus à leurs familles. Des héros en sale état : Ouri et Nimrod sont perclus de blessures et traumatisés profondément ; quant à Amiel, c’est entre quatre planches qu’on le ramène à sa sœur.
Bref pas franchement ce qu’on peut appeler un dénouement heureux d’autant que le retour s’avère bien plus complexe et douloureux que prévu. Dévorés de culpabilité, déphasés, nos héros peinent grandement à se réinsérer dans une société qui a évolué sans eux. Et que dire de leurs proches ? Certains se sont battus au quotidien pour obtenir leur libération, d’autres ont tenté d’oublier, tous ont appris à vivre avec des souvenirs. Ouri et Nimrod sont donc comme des spectres parachutés au milieu de vivants incapables d’imaginer un instant ce qu’ils ont subi.
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Un nouveau type d’enfer
Il va falloir continuer de survivre dans un nouveau type d’enfer ; celui d’une vie normale qu’on a âprement désirée et qui s’avère inaccessible à jamais. A moins de faire le deuil de soi. Adulés mais totalement seuls, Ouri et Nimrod vont tomber de haut, sombrer … voire devenir de potentiels coupables. Les autorités sont en effet curieuses savoir ce qui s’est réellement passé dans ces geôles où on les a torturés deux décennies durant. Comment Amiel est-il mort ? Qu’est-ce que Ouri et Nimrod ont pu raconter à leurs bourreaux ?
Et puis qui sont ces mystérieux Enfants du Djihad qui n’en sont, on l’apprend progressivement, pas à leur coup d’essai ? Qui était vraiment Jamal, qui semblait avoir la haute main sur les interrogatoires ? Plus les enquêteurs, Chaim et Iris, décryptent ce passé trouble, plus ils accumulent les incohérences, les mystères. Les pistes menant sur des impasses. Ce qui devient certain au fil des épisodes, c’est que quelque chose cloche dans le déroulement des faits ; que l’un des trois pourrait avoir trahi. Que leur enlèvement n’a peut-être pas été le fruit du hasard, tout comme cette captivité interminable.
Des êtres en souffrance
Jouant avec virtuosité sur les flashbacks, les mises en abîme, Gideon Raff déroule deux saisons haletantes de suspens. Un suspens qui se déroule à plusieurs niveaux : celui de l’action proprement dite, celui de l’évolution des personnages. Vont-ils retrouver leur existence d’avant ? Comment chacun va-t-il gérer cette crise sismique ? Les répercutions physiques, mentales, affectives, morales de cette situation ? Difficile de retrouver une forme d’équilibre dans une société aux aguets perpétuellement, sans aucune aide psychologique ou financière d’aucune sorte (Nimrod se retrouve avec 1000 shekels de pension, une misère pour ne pas dire une insulte après le calvaire subi).
Et c’est là que Hatufim prend encore plus de hauteur : c’est finalement toute la tragédie absurde du conflit israélo-palestinien qui transparaît dans ce drame d’où les politiques, les décideurs sont étrangement absents. D’un côté de la frontière comme de l’autre, nous voyons des êtres en souffrance, qui n’en finissent plus de se faire du mal pour … pour quoi au final ? Cycle de vengeance, haine héréditaire, fanatisme barbare, en définitive il n’y a pas de fondement raisonnable à tout ça, juste des gens qui souffrent dans leur chair, dans leur vie, dans leurs amours, dans leurs deuils. Et qui s’empêtrent dans un cercle vicieux de détestation d’une perversité sans nom. Hatufim donne à voir ces clivages d’une manière très humaine … et le futur ? Des gosses qui n’ont plus envie d’aller se faire tuer, qui veulent aimer, apprendre, construire …
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Perspectives d’avenir
L’armée d’un côté, le djihad de l’autre : les perspectives d’avenir sont minces. Or l’avenir, c’est autre chose. Et Hatufim le fait clairement comprendre, en confrontant les générations : les anciens qui ont connu les guerres des 6 jours, du Kippour, les quadragénaires qui ont payé le prix, les adolescents qui ne veulent plus servir de chair à canon. C’est la raison d’être des protagonistes comme Dana qui n’a jamais connu son père Nimrod et le voit débarquer du jour au lendemain avec ses cris de terreur, d’Hatsav qui ne veut pas s’enrôler dans l’armée pour finir dans un cercueil, d’Ismael dont le père veut absolument préserver le futur en lui donnant accès au savoir, pour qu’il ne finisse pas dans les rangs terroristes.
Arabes, juifs, peu importe, ils ne veulent pas, ils ne veulent plus. C’est le message codé de la série, qui transparaît dans des moments imperceptibles mais puissants : cette veuve d’un agent du Mossad qui vire les cartons de documents secrets de son défunt époux afin de faire de la place pour ses petits-enfants, cette mère qui pleure devant la photo de son gosse tué en manœuvre, cette jeune palestinienne qui informe Nimrod bien que son père ait été tué dans une interpellation alors qu’il n’avait rien fait. Ouri ou Amiel qui félicitent le jeune Ismaël, tout heureux d’avoir réussi ses exercices de mathématiques.
Un casting d’une exceptionnelle qualité
Bref, le temps des Faucons et des Colombes est révolu ; il faut aborder les choses autrement. Sortir de la colère, de la rage aveugle, de part et d’autre. C’est là que le jeu des acteurs devient essentiel. A ce titre, le casting d’Hatufim est d’une exceptionnelle qualité. Il suffit de voir le premier épisode pour le mesurer : la séquence où les otages retrouvent leurs familles est incroyable d’intensité. Dans les yeux des comédiens Yoram Toledano et Ishai Golan, on décrypte une émotion immense où la joie et le soulagement font progressivement place à l’incompréhension et à la terreur, tandis que leurs personnages mesurent le décalage qui s’est instauré.
Cette justesse de jeu irrigue les deux saisons, jusqu’à la dernière seconde. Peut-être parce que tous ces acteurs vivent ce quotidien de tension perpétuelle ? Le scénario est inspiré de faits réels. Il met en évident l’implication de la population dans chaque drame, attentat, enlèvement … et puis la vie reprend son court et les victimes restent seules à pleurer, dans une indifférence que les médias secoueront à chaque nouvelle tragédie. Hatufim vient casser cette fatalité en la décryptant d’une manière subtile et intelligente. L’intelligence du cœur. C’est son message d’espoir.
Et plus si affinités
Vous pouvez voir cette série sur ARTE.
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