La diffusion de la première saison avait fait un tabac avec des résultats d’audience assez impressionnante qui avaient fait la joie de France 2 ; c’était en 2012 et les aventures de Simon Kapita, conseiller en communication évoluant dans les coulisses du pouvoir, allaient inspirer deux saisons supplémentaires, captant les suffrages des téléspectateurs jusqu’en 2016. À raison, car la série Les hommes de l’ombre offre une plongée aussi haletante que pédagogique dans la matrice de la communication politique, et même si elle célèbre ses 10 ans, elle demeure d’une actualité troublante.
Kapita : du pain sur la planche et les nerfs solides
Trois saisons donc, soit 18 épisodes d’une cinquantaine de minutes chacun pour comprendre comment nos dirigeants jonglent avec les médias afin de prendre le pouvoir, le garder et gouverner. Au cœur de ce jeu de dupes, Simon Kapita, communicant de génie qui a beaucoup travaillé dans les sphères politiques avant de raccrocher les crampons pour s’exiler aux USA loin de ce marigot. Marigot où il replonge tête la première quand le président français, par ailleurs un excellent ami, est assassiné pendant un déplacement officiel. Geste d’un désespéré ou attentat terroriste ? Peu importe, la place est libre et les candidats se précipitent pour récupérer le trône dans une campagne sans merci, quitte à multiplier les mensonges d’État. Profondément meurtri par la perte de son ami, Kapita reprend du service pour soutenir Anne Sauvage dans sa course à la présidentielle.
Par la suite, il lui faudra épauler un autre président affublé d’une épouse bipolaire complètement ingérable, confronté à la corruption de ses proches, au terrorisme et à une méningite foudroyante, séduit par une proche collaboratrice qui lui fait un gamin dans le dos tandis qu’une passionaria islamiste extrême joue de la mitrailleuse dans les rues de Paris. Tout cela sans compter avec les coups fourrés de l’opposition, extrême-droite en tête, la presse people, les réseaux sociaux, une ex-femme journaliste, une fille en quête de reconnaissance, un ancien collègue devenu un ennemi juré : bref Kapita a vraiment du pain sur la planche et les nerfs solides pour gérer ce stress permanent. À son crédit, un professionnalisme hors pair, une véritable déontologie, de la psychologie à revendre et beaucoup de flair. De patience aussi.
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Spin doctors à la française
Il va lui en falloir pour traverser sans trop de dommages les crises qu’on lui demande de juguler à la chaîne, parfois à son corps défendant, et sans vraiment tenir compte d’une vie personnelle assez chaotique ni de ses avertissements pourtant avisés. On passera sur les aventures amoureuses de ce héros plein de sagesse et de ses camarades : le véritable intérêt de la série est de mettre en évidence la manière dont on conquiert le pouvoir, non par les idées, mais par l’image. Les situations évoquées dans la première saison par le scénariste Dan Franck, coauteur de Jean Vautrin et de Enki Bilal, également initiateur de l’intrigue, sont inspirées par l’actualité, idem pour les saisons suivantes. Il s’agit ni plus ni moins d’une pièce en trois actes portant sur la montée au pouvoir, sa prise en main, sa continuité. Avec en son sein, la présence permanente et nécessaire des spin doctors.
D’origine anglo-saxonne, l’expression désigne des spécialistes des relations publiques et du marketing qui opèrent auprès d’un homme politique pour l’aider à gérer sa notoriété au quotidien comme en période de crise. Le film Des hommes d’influence de Barry Levinson en dresse un portrait assez mordant : interprété par un Robert de Niro faussement bonhomme, un conseiller occulte spécialisé dans la gestion des scandales liés à la vie privée des célébrités tente de sauver la mise d’un président mouillé dans une affaire de mœurs via un scénario rocambolesque tissé par un producteur hollywoodien joué par Dustin Hoffman. Beaucoup moins ironique, Les hommes de l’ombre donne cependant à voir les méthodes des spin doctors à la française, qui relèvent carrément de la manipulation des foules.
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Ruses de communicants
Manière de s’habiller et de poser devant les journalistes pour avoir l’air d’être un monstre de travail, fautes et lapsus volontairement introduits dans les discours, mise en scène des meetings, utilisation d’une table d’1m55 durant les débats télévisés, fuite orchestrée d’informations auprès des médias, recours à la presse people, les trois saisons regorgent de trucs et de ruses de communicants pour améliorer l’image de clients qui ne veulent pas forcément se plier à ces impératifs. On comprend très vite que la stratégie établie par ces fins psychologues occupe une place centrale dans la gestion d’une campagne, le rythme d’un ministère, la respiration quotidienne de l’Élysée. On réalise également que ces conseillers sont amenés par la force des choses à sortir de leur champ d’action pour intervenir dans le décisionnel même.
Alors qu’ils n’ont aucun mandat, aucune appartenance politique revendiquée, ils se mêlent des tractations avec d’autres partis, de la négociation des ministères, influençant les choix politiques en fonction de l’analyse d’un sondage, des retombées d’une information. Cela signifie-t-il que tout n’est plus que communication, que la politique n’est finalement qu’une coquille vide ? Shakespeare avait déjà évoqué le sujet dans ses tragédies et ses pièces historiques. Se saisir du pouvoir par la manipulation ou le meurtre est une chose, en user avec efficacité en est une autre. Par ailleurs, être élu au plus haut poste de l’État relève de la vocation monacale ; or, un politique n’en demeure pas moins un être humain qui plus est exposé au regard et au jugement de tous.
Des lendemains qui chantent : les années Mitterrand en question
Inspiré par les faits d’actualité marquants qui ont jalonné les présidences précédentes, Les hommes de l’ombre met en évidence cette vérité, et le poids qui pèse sur ces personnages confrontés aux complexités de la real politique. Notons la qualité du casting qui apporte un relief incroyable à ces protagonistes chahutés par des vents contraires : Bruno Wolkowitch, Nathalie Baye, Carole Bouquet, Aure Atika, Philippe Magnan, Nicolas Marié, Yves Pignot, Grégory Fitoussi pour ne citer que les figures récurrentes d’une fresque néo-balzacienne aussi impactante et initiatrice que Baron noir. Preuve que le thriller politique est aussi fécond en matière de suspense et d’émotions forte que riche d’un véritable potentiel pédagogique.