Bon, ok, on a l’air de gros loosers : chroniquer House of the Dragon plusieurs mois après sa sortie en fanfare, ça fait un brin ringard. Mais on assume :
- déjà parce qu’on ne peut pas tout voir en même temps (la production de séries a largement explosé depuis l’instauration de la VoD, du coup on peut pas tout faire, on n’a pas quatre bras, on peine un peu) ;
- ensuite parce qu’on a quand même attendu la dernière saison de Game of Thrones pour se coller au visionnage en intégral de toutes les saisons, du coup on a moins de scrupules ;
- enfin, confessons-le, on avait peur d’être déçu.
La curiosité et l’addiction
Il faut dire qu’après la monumentale claque GoT, difficile de remettre le couvert sans risquer la redite et l’essoufflement. Quand on se souvient du barouf suscité chez les fans par la fin de la saga, on pouvait redouter le pire. C’était sans compter sur deux choses : la curiosité et l’addiction.
- La curiosité suscitée par les racines de cette diablesse de Daenerys dont le fracas mental en a pris plus d’un à la gorge (notamment ceux qui s’étaient pris de passion pour la donzelle au point de baptiser leur progéniture d’un patronyme finalement pas si aisé à porter).
- L’addiction créée par cet étrange équilibre entre amour, pouvoir, violence et mort, un alliage très particulier, presque mystique, qu’on retrouve dans les tragédies grecques, les drames shakespeariens.
Clairement, House of the Dragon reprend la même recette. Adapté du roman Fire and blood que l’incontournable/inusable/indéboulonnable George R.R. Martin a sorti en 2018, voici la geste de la dynastie Targaryen. Nous sommes donc parachutés à Port Real, au cœur des Sept Royaumes, deux siècles avant que ne commence la saga GoT. Choisi pour reprendre le trône de son papy, Viserys I Targaryen, pacifiste indécrottable, veut un fils à tout prix. Les choses vont faire qu’il va devoir instituer sa fille, Rhaenyra, comme héritière de la couronne. Dans un royaume où les femmes sont cantonnées au rôle de reproductrices et/ou d’objets de plaisir, ça passe mal.
Un bordel en devenir
D’autant que, veuf éploré, Viserys se remarie néanmoins avec une jeunette, qui se trouve être la meilleure copine de sa gamine, qui le prend assez mal. La nouvelle épousée, fille du premier ministre du roi, pond plusieurs gamins, dont deux fils, qui ont toutes les raisons de lorgner sur l’héritage de Papa. Héritage que Rhaenerys, elle-même maman, n’a guère l’intention de lâcher, d’autant qu’elle a convolé en secondes noces avec son oncle paternel (ah les penchants incestueux des Targaryens, toute une histoire), un fieffé manipulateur qui a le coup d’épée facile, bien décidé à prendre le pouvoir un jour. Quand on vous disait que c’est le bordel !
Un bordel en devenir, dont on sent la progressive mise en place ; le dernier plan du dernier épisode confirme d’un regard le caractère apocalyptique des événements à venir. Car tout ce petit monde, parents, enfants, cousins, neveux, oncles, tantes, va se foutre sur la gueule à coup de TRÈS gros dragons, autant dire des bombes atomiques ailées, qui ne sont pas si manipulables qu’il y paraît. Il suffit d’un rien pour que ça clashe entre deux bestioles et là, c’est le fight ! Fight aérien qui symbolise la tension sur le plancher des vaches, tension largement alimentée par ces dames.
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Des personnages féminins tout en force
Déjà GoT nous avait habitués à des personnages féminins tout en force, et pas franchement décidés à se laisser marcher sur les pieds. Eh bien, deux siècles avant, c’est le même topo : les donzelles ne s’en laissent pas compter ; pour tout dire, ce sont elles qui mènent la danse en coulisse, puisant dans la maternité les crocs et les griffes nécessaires à un combat où il n’y aura pas de prisonniers, mais beaucoup de cadavres. Il faut dire que celles qui ont la chance de survivre à leur grossesse connaissent le prix d’une vie et d’une mort, savent l’importance de transmettre le sang familial.
Ces messieurs, tout-puissants en apparence, font finalement bien pâle figure face à ces Furiosa sans pitié sans lesquelles ils ne sont pas grand-chose, ne serait-ce qu’au niveau de la reproduction de l’espèce et la transmission du patrimoine. Un brin féministe, House of the Dragon, outre cette guerre des reines, traite du poids des traditions et de la complexité des rapports familiaux, avec notamment une séquence de repas particulièrement gratiné, où on passe à un cheveu de l’incident diplomatique et qui n’est pas sans évoquer ces dîners de Noël précédés d’une prise de Xanax pour éviter de péter un câble au moment de la Bûche.
Carton complet parce que cathartique
C’est peut-être pour ça qu’on les aime tant, ces personnages outranciers. Ils sont un peu nous, et nous servent d’exutoire, s’offrant ce luxe de s’étriper ouvertement et sans complexe quand nous préférons fermer notre clapet face au tonton chiatique et à la mamie casse-couille. Alors House of the Dragon, mieux qu’une séance de psychothérapie ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- 29 millions de téléspectateurs rien qu’aux aux États-Unis ;
- 9,9 millions de vues en moins de 24h pour la diffusion du premier épisode, soit le meilleur démarrage de la HBO.
- 9,3 millions de spectateurs pour regarder le dernier chapitre de cette saison initiale qui en appelle d’autres.
Carton complet parce que cathartique, on peut le dire. Avec en prime des décors superbes, des costumes magnifiques, des armures rutilantes, une scène de tournois sanglante, des gars crucifiés bouffés par des crabes, des grossesses à problème, des dragons hyper-réalistes, des effets de plongée/contre-plongée réussis, un très beau travail de lumières avec le plein d’éclairage à la bougie. Et comme il se doit, des gros plans aux petits oignons pour saisir l’expression des sentiments et des passions, servie par un casting où Emma d’Arcy, Olivia Cooke et Eve Best s’imposent comme de véritables leading ladies, avec à leur côté Matt Smith, Paddy Considine, Rhys Ifans, Steve Toussaint, pour ne citer qu’une infime partie de cette affiche de qualité.
En résumé, le préquel de Game of Thrones se laisse regarder, et très insidieusement, capte votre attention sans même que vous vous en rendiez compte. Pire, House of the Dragon risque fort de vous donner envie de revoir la première partie, à force d’y faire référence. Preuve que, par delà le coup marketing, c’est une véritable mythologie qui se construit sous nos yeux et s’impose à nous. Pour tout dire, on ne va pas s’en plaindre.