J’étais partie pour chroniquer l’excellent En Thérapie … mais que pourrais-je ajouter à la déjà longue liste d’articles encensant la série de Nakache et Tolédano ? A trop en dire, on fatigue, on use, on ennuie … du coup je me suis reportée sur Maniac, visionnée par le plus grand des hasards l’autre soir sur ARTE.
Échappées imaginaires
Un format court pour cette série norvégienne de dix épisodes d’une vingtaine de minutes chacun, qui nous raconte les échappées imaginaires d’Espen. Espen, trentenaire grassouillet et insignifiant, enfermé dans une unité psychiatrique après un an de mutisme, et qui revient doucement à la vraie vie grâce à l’énergique, bienveillante et lucide Mina. La seule psychologue de tout l’hôpital à comprendre que cet étrange patient vit des vies parallèles bien plus passionnantes que son quotidien de technicien, avec comme mentor un ami envahissant qui incarne son subconscient.
Le tout est alimenté par l’amour d’Espen pour le cinéma et les séries, ce qui le plonge dans des univers inspirés de The Walking dead, Django unchained, les super-héros Marvel, Ocean’s Eleven et consort … et multiplie les situations cocasses, avec combats homériques à coups de coussin, massacre de ses compagnons d’infortune à grand renfort de crème lavante, galop furieux dans les couloirs à cheval sur un balais … Car Espen est arrivé à un stade où il ne différencie plus réel et fiction, ce qui le rend ingérable et pourrait bien provoquer son enfermement à vie.
Injonctions à la perfection
Questions : comment a-t-il basculé ? Pourquoi ? Que faire pour se débarrasser de cet ami dévorant ? Comment retrouver une vie normale ? Qu’est-ce qu’une vie normale ? Celle où on pleure un père disparu, la rupture avec une femme trop aimée, la banalité d’une vie lambda entre télé, pub et boulot ? Ou un univers imaginaire certes, mais dont on est le héros paré de toutes les grâces, de tous les talents, de toutes les réussites … un monde à géométrie variable où les émotions, les déceptions n’ont plus droit de cité ? Où on trouve un peu de dignité, de fierté de soi ?
La série signée Kjetil Indregard n’apporte pas de véritable réponse à ces problématiques ; son objectif est de les mettre en évidence, au travers d’un récit à la fois comique et troublant. Si les délires d’Espen sont drôles, la réalité de sa situation est poignante. Ce garçon est d’autant plus touchant qu’il reflète nos fragilités communes face à un monde fait d’injonctions à la perfection : être beau, être fort, être séduisant, être créatif, être fidèle, être riche, être combatif, être rusé, être cultivé, être, être, être … jusqu’au dégoût ou la folie.
Gouffre mental et mondes virtuels
Comment tenir le choc quand on est hyper-sensible ? Le cas d’Espen ne peut nous laisser indifférents. Qui ne s’est pas projeté dans ces figures héroïques qu’on nous sert à longueur de films et de séries comme des modèles qu’on ne pourra jamais devenir car ils sont proprement insensés, illogiques ? La série date de 2015, elle a inspiré une version américaine diffusée sur Netflix, elle repasse actuellement sur ARTE dans la collection « Retour à l’original ». Six ans après sa sortie, en pleine pandémie, son propos prend une saveur nouvelle.
Gestion chaotique de la crise sanitaire, manque de moyens criants, messages contradictoires et infantilisants, digitalisation chaotique, précarité économique et sociale, combien de Espen sont aujourd’hui au bord du gouffre mental, sans aucune aide, avec comme seul échappatoire les mondes numériques qui se multiplient sur la toile ? Jusqu’à la mode qui se désincarne pour conquérir des clients désireux de briller sur les réseaux sociaux en habillant leurs selfies d’oripeaux virtuels mais néanmoins payants.
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D’un seul coup, Maniac devient un peu moins drôle, un peu plus grinçant, voire glaçant … La fin de la série est à méditer, au regard de notre actualité. L’ensemble est à voir ou revoir, preuve de l’inventivité des scénaristes européens … et de leur côté visionnaire.
Et plus si affinités