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On savait les cinéastes espagnols doués pour raconter l’indicible avec une inventivité et une énergie rares. Dans le sillage du maître Almodovar, les vocations ont fleuri, repensant au passage les codes du cinéma d’horreur ibérique dixit Le jour de la bête et autres REC. La Mesías s’inscrit dans ce travail de dépoussiérage musclé, mené tambour battant par Javier Ambrossi et Javier Calvo. Le tandem accouche ici d’un thriller oppressant et subtil à la fois, qui hybride brise mysticisme, trauma familial et pop culture. Un décryptage s’imposait.
Un engrenage infernal
Déjà un petit pitch : Enric, cameraman de son état, s’effondre un soir tandis qu’une vidéo Youtube déboule sur les écrans. Un groupe de jeunes filles qui chante des cantiques dans une mise en scène kitchissime à souhait. Cela en fait rire beaucoup, le phénomène est cependant viral : on se moque mais on regarde, une fois, deux fois… on commente, puis on devient accro. Ce que le public ne sait pas, c’est ce qui se cache derrière les Stella Maris. Enric, lui, sait. Et pour cause. C’est le frère aîné de ces gamines, qu’il n’a pas vu depuis des années. Car il a fui. Sa famille, ses sœurs. Sa mère.
Montserrat, matriarche toute-puissante, persuadée d’être l’élue de Dieu et qui a fait de son clan une secte coupée du monde ou presque. Seule ouverture désormais sur l’humanité : Youtube, les réseaux sociaux. Un champ d’action d’une incroyable portée pour le discours fanatique de cette dangereuse gourou. Conscient du péril, désireux de soustraire ses sœurs qu’il adore mais qu’il a dû abandonner pour sauver sa peau, Enric va tout faire pour les retrouver. Dans son sillage, sa cadette Irene qui, elle-aussi, a réussi à fuir, et n’a aucune envie de remettre le doigt dans cet engrenage fatal.
Un calvaire affectif
Question : vont-ils parvenir à exfiltrer leurs sœurs de cet enfer psychique ? Adultes, ils portent encore les stigmates de leur martyre d’enfants. Terrorisés, abusés par une mère elle-même fragile mais qui se révèlera tyrannique et manipulatrice. Le trauma est indéracinable : comment faire pour sortir de cette emprise aux allures trompeuses d’amour filial absolu ? Ambrossi et Calvo explorent ce calvaire affectif, au fil de l’enquête d’Enric et Irene, entrecoupant le présent de flashback sur un passé particulièrement douloureux dont ils ont pu s’échapper par l’art et la créativité, l’un via le cinéma, l’autre par la couture.
Leur récit est volontairement déstabilisant tandis que par petites touches, ils font émerger la puissance du choc chez ces deux adultes marqués à vie par une enfance torturée. Inspirés de faits réels, La Mesias a ceci d’effrayant qu’elle donne à voir et à analyser l’essor des sectes extrémistes en Espagne, des sectes qui trouvent racine dans un terreau religieux particulièrement fertile, hérité des années Franco. Outre les difficultés conséquentes que rencontrent les deux héros pour remonter la trace de leur mère (qui sait y faire quand il s’agit de se disparaître), la série met en évidence les dysfonctionnements de la justice, le manque de moyens (et de volonté?) pour lutter contre cette prolifération.
Malaise et fascination
Une prolifération encouragée par l’explosion d’Internet, la visibilité offerte par les algorithmes de social media qui adorent complotisme et discours dérangeant. Le travail de l’image accentue ce sentiment de malaise. Chaque plan est minutieusement composé pour évoquer à la fois l’oppression et la beauté trouble de cet univers mystique. La photographie accentue la tension dramatique. Le montage, alternant passé et présent, renforce l’effet de spirale infernale dans laquelle les protagonistes se trouvent piégés.
La série explore avec beaucoup de pertinence comment l’emprise d’une figure maternelle autoritaire peut briser une famille et façonner des générations entières. Le parcours d’Enric notamment, s’avère une quête de libération où chaque souvenir est un combat contre la peur et la culpabilité. Le casting est ici essentiel. Il a fallu trois acteurs pour incarner les rôles de la mère,d’Enric et d’Irene à trois stades de leur vie : enfance, adolescence, âge adulte. L’important était de conserver une cohérence tout en soulignant le développement progressif des traumatismes pour les enfants, de la folie persécutrice pour la mère.
Une métamorphose morbide
Montserrat est interprétée par Ana Rujas, Lola Duenas et Carmen Machi : trois comédiennes d’exception qui sont en écho, à trois stades illustrant la métamorphose morbide d’une jeune femme isolée, prostituée et alcoolique en gourou exaltée convaincue de dialoguer avec le Christ avant de devenir une matriarche tenant ses filles et ses enfants d’une main de fer, même au seuil de la mort. Une folle ? Une despote ? Une victime ? La question est soulevée, petit à petit. Montserrat est-elle elle-même manipulée par un époux religieusement fanatisé ? Ou s’agit-il d’une intrigante avide de succès et de reconnaissance, prête à tout pour être célèbre ?
Le mystère demeure qui nourrit les doutes des deux aînés, la perdition de l’un, l’intransigeance de l’autre. Comment se construire après pareil traitement (se reconstruire n’est même pas à l’ordre du jour, vu le peu de socle éducatif initial) ? Quid des sœurs cadettes ? Sauront-elles s’émanciper ou vont-elles faire fructifier l’héritage maternel, enclenchant un nouveau cycle de toxicité ? Le thriller psychologique, remarquable d’intensité, a su séduire les critiques en Espagne et à l’étranger. La Mesias s’impose ainsi comme un incontournable de la fiction espagnole contemporaine. C’est que la série bouscule, dérange et fascine à la fois, entre suspense intense et émotion brute.
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