Qu’est-ce qui fait la valeur d’un homme ? Son courage ? Sa pugnacité ? Ses principes ? Ses convictions ? Ses rêves ? Ses obsessions ? Ses angoisses ? Son aveuglement ? Tout ça, Bernard Tapie l’avait, avec en prime un sens inné de la démesure, un côté roublard assumé. C’est du moins ce qui ressort de la mini-série Tapie. Le récit accéléré de sa grandeur… et de sa chute. Avec le sentiment amer du gâchis.
Tapie alias « Nanard » aka « Le Boss »
Si l’on s’en tient au récit façonné par le réalisateur Tristan Séguéla (fils d’un certain Jacques qui a très bien connu Tapie du reste) et son complice romancier et scénariste Olivier Demangel, « Nanard » aka « Le Boss » avait à la fois tout pour réussir et se planter. Issu d’une famille d’ouvriers, pas de formation, une grande gueule, le refus des conventions, un ego surdimensionné, l’envie de s’imposer en haut de l’organigramme, peu importe le chemin. Chanteur, acteur, homme d’affaires, politicien, ministre, patron de l’OM… il a tout essayé, réussi parfois, brillamment et avec intelligence et finesse. Mais aussi beaucoup raté, se rétablissant d’une pirouette, repartant à l’assaut de la célébrité et de la richesse. Sans se démonter.
Alors pourquoi ? Pourquoi ce gars qui a tant peiné à construire un empire va le torpiller de la manière la plus crétine qui soit ? En trichant pour remporter un match de foot que son équipe ne pouvait de toute façon que gagner vu sa supériorité stratégique ? Un épisode parmi tant d’autres de la geste de Nanard, héros moderne qui aime à jouer avec le feu comme un Dom Juan du XXᵉ siècle, quitte à se saborder de la pire des manières. Partout à l’aise, à sa place nulle part. Le récit tissé par le duo Séguéla/Demangel tait de nombreux épisodes de cette saga (Crédit Lyonnais, scandale du Phocea) où disruption rime avec autodestruction.
Un personnage colossal
C’est bien dommage, car le portrait déjà très intéressant tissé par la série aurait gagné en nuance, présentant un visage encore plus complexe et tortueux de ce voyou au grand cœur, tourné vers l’humain certes, mais capable des coups bas les plus vicelards. Ce en quoi il n’est pas forcément le plus doué quand on le compare aux barons de la politique qu’il va côtoyer au fil de son court ministère. Pourtant, le Monsieur ne manquait ni d’audace ni de panache quand il affronta Le Pen lors d’un duel verbal entré dans les annales. S’il est incomplet, Tapie a au moins le mérite de rappeler ce fait d’armes dont peu peuvent s’enorgueillir et qui en son temps fit grande impression.
C’est que Nanard, son allure, sa grande gueule, ses répliques coups de poing, son sens de la décision, de l’action ont marqué les années 80. Et cela, la série le rappelle assez justement, portée par un Laurent Lafitte absolument exceptionnel de vérité dans ce rôle pourtant improbable et ô combien glissant. Aucune fausse note cependant de la part du comédien, qui excelle à restituer les excès et les angoisses, les colères et les élans de son modèle, avec en point d’orgue une confrontation impressionnante avec le procureur Eric de Montgolfier qui l’enverra en tôle, joué par un David Talbot tout aussi colossal que son interlocuteur.
Un besoin viscéral d’avoir raison
Et que dire du reste du casting ? Joséphine Japy, Fabrice Luchini, Camille Chamoux, Antoine Reinartz, Samuel Labarthe, François Rollin, Anne Benoit… la production a misé sur une distribution de très haut vol pour reconstituer cette success story aux saveurs de souffre, une narration librement inspirée où les éléments fantaisistes et inventés pullulent, mais qui a pour objectif de méditer avec pas mal de jugeote finalement sur les grandeurs et les misères d’un Titan aux pieds d’argile. Que cela ne vous dispense cependant pas de parcourir les biographies consacrées à Tapie, d’autant que la série se concentre sur les années 1966-1997, édulcorant la suite de ses péripéties qui furent tout aussi palpitantes.
Ce qui est certain, c’est que la série saisit au vol la modernité de ce garçon, le futur qu’il annonce, une mutation profonde et pas forcément heureuse des arcanes de la politique et de l’économie, son côté séducteur, manipulateur, sa grande capacité à vouloir façonner le monde tel qu’il l’entendait, sans tenir compte de réalités qui le rattraperont très vite pour l’écraser. Et cela avec néanmoins beaucoup de bon sens et d’empathie, un sens profond de l’autre qu’il peut balayer d’un revers de la main quand ses intérêts, son besoin viscéral d’avoir raison, d’être aimé, adulé, célébré, reconnu sont en jeu. Ironiquement, le parallèle avec Polnareff étiré tout au long des 7 épisodes rehausse le caractère atypique, pour ne pas dire oxymorique, de ce personnage aussi attachant qu’il peut être horripilant.