A l’heure où les festivals morts se tramassent à la pelle, le SMMMILE Festival peaufine son édition 2019, quatrième du nom, avec une vigueur qui laisse rêveur, et une thématique dans l’air du temps : healthy, vegan, durable et pop. Eh oui, qu’on se le dise, et même si ça déplaît à certains, manger mieux et sain, voire cruelty free et en accord avec la planète, c’est passé dans les mœurs populaires, ou en tout cas, c’est bien parti pour. Pour preuve l’event initialement orchestré en 2016 par l’association du même nom, boostée par la team Nicolas Dhers, Sylvain Tardy, Jean-Benoît S. Robert et Clémence Landeau, event qui s’obstine à remettre le couvert depuis quatre ans à la mi septembre au parc de la Villette – rien que ça – histoire de marquer le retour de l’automne en fanfare.
Et toujours un cran au dessus ? 10 000 participants en 2018, 4500 repas vegan servis ? Peut mieux faire ? Bien sûr ! Les orgas en ont la ferme intention, qui veulent porter la bonne parole eco-friendly en terre parisienne pas si hostile que ça …, et prête à payer pour ce qu’elle pense juste ! Le festival se finance, attention, de manière participative, laissant à chacun l’aisance d’un billet à tarif libre. A l’heure où les concurrents affichent des montants souvent extrêmes, et avec à la clé une prog mêlant concerts, conférences, débats, tables rondes, initiations, ateliers culinaires, cours de yoga, animations pour enfants … plus des grands chefs dingues de bio et un marché rassemblant des marques vegan en plein essor.
Encore un truc de bobos babos, me direz-vous ? En pleine crise climatique, alors que Greta Thunberg et consort, malgré les quolibets arrogants et irresponsables d’un vieux monde déconnecté des périls à l’œuvre (ou qui n’en a rien à foutre, mais prenez garde, la colère de la nature n’épargnera personne) empaument leurs bâtons de pèlerin pour sillonner la planète et fédérer les bonnes volontés, la médiocrité du déni n’est plus acceptable. A l’affiche de cette nouvelle édition SMMMIlienne, pour la musique, en autres, Dope Saint Jude, Juicy, Basile di Mansky, Andriamad, Loane, enn invités, Paul Watson, Audrey Pulvar, Gaelynn Lea pour ne citer qu’eux, aux fourneaux Julien Dumas et Sylvestre Wahid.
Comme le résume avec poésie Fred Nevché, également inscrit dans le line up :
«Avec le sourire, c’est plus facile de se parler,
Avec le Smmmile, on peut tout expliquer,
Avec le sourire, on sensibilise, on peut
Trouver les mots, préciser les mots, leur sens
Donner du sens, regarder ensemble dans la même direction,
même si l’on est différent,
On peut faire bouger les lignes,
Apprendre à comprendre le véganisme, comprendre ses enjeux,
Avec le Smmmile, tout est plus léger qu’une brise d’été,
Avec le Smmmile, notre planète est tellement plus belle,
Avec le Smmmile, on peut faire sourire, et si vous souriez,
C’est déjà gagné !»
De la poésie donc … mais encore ? Plus pragmatique, j’ai préféré m’adresser aux dieux qu’à leurs saints, dieux qui n’étaient pas tous dispos, donc j’ai choppé celui qui passait par là, à savoir Nicolas Dhers, ce qui n’est pas rien puisque, ancien d’HEC, il a viré sa cutie consumériste pour fonder ce festival (c’est expliqué plus haut, suivez, nom d’un fromage vegan). Programmation, écologie, financement … j’ai posé des questions vaches, comme il se doit … et il ne s’en est finalement pas si mal tiré, avec humour, conviction et en conscience !
SMMMILE : Choix de prog ?
« Rappeuses audacieuses & poètes électro humanistes » annonce le dossier de presse … pourtant Marie Laforêt est à l’affiche : SMMMILE ne sera jamais un festival de rockeur ?
Ah ah ah, la Marie Laforêt qui est à l’affiche est une auteure culinaire, pas la chanteuse aux yeux d’or ! Les rockeurs sont les bienvenus of course, et puis le festival est rock dans son état d’esprit car il remet en cause l’ordre établi, je trouve aussi qu’une artiste comme Dope Saint Jude a une attitude très rock!
Après c’est sûr, du rock il y en a moins que les années précédentes où nous avions reçu sur scène : Requin Chagrin, Hyperculte ou Forever Pavot, alors rendez-vous l’année prochaine pour plus de riff à la Gibson!
Le mot poésie revient beaucoup dans la présentation de la prog : à l’heure du tout instagramable, ce type d’expression est-il encore viable ? Pourquoi ce choix qui peut passer pour intello ?
Je n’avais pas fait attention à ce tic d’écriture ! C’est sûrement un mécanisme de défense face au « joli jetable du tout instagramable », une envie d’enchanter la transition et de mettre du beau dans le quotidien !
Je ne pense pas que la poésie soit intello. La poésie, c’est pour tout le monde et il faut la rendre accessible. Elle est dans une jolie photo que l’on verra dans une allée du parc de la Villette, dans une belle chanson ou dans les sourires qui fleuriront à partir du 13 septembre, la poésie. (Nota, du coup j’ai calé 4 fois le mot poésie dans cette réponse).
Gaelynn Lea, Gang Bambi : certains des artistes programmés sont engagés ailleurs que sur le front du combat écolo, pour les droits des handicapés ou LGBT. Par ailleurs la plaquette est rédigée en écriture inclusive. SMMMILE est prévu en même temps que la fête de l’Huma : est-il en train de créer une alternative politique au militantisme de gauche plus classique ?
Alors nous n’avons rien contre la fête de l’Huma ! C’est d’ailleurs dommage que l’on soit le même week-end, ça nous empêche d’y aller ! C’est sûr que nous sommes engagés sur d’autres combats que l’environnement et la cause animale. C’est vraiment notre approche, de questionner les logiques de domination au sens large, de penser en termes de convergence des luttes. Nous sommes convaincus que le renouveau de la gauche passe par là ! Il faut parler à tout le monde et donc veiller à ce que personne ne se sente exclu.
ARTE est partenaire de l’événement. Assurera-t-elle la diffusion des concerts ce qui tend à devenir son activité de pointe ? Si c’est le cas, pensez-vous que cela constitue un frein à la fréquentation ou une visibilité supplémentaire ?
Arte concert n’est pas partenaire du festival, nous aimerions bien, ce serait pour nous une belle visibilité. Et puis je ne pense pas que les gens aillent moins aux concerts parce qu’ils regardent des replay, mais je ne suis pas expert. Le besoin de vibrer ensemble, de vivre ensemble me semble bien présent à l’heure actuelle. Un concert, c’est une émotion collective irremplaçable !
SMMMILE : un discours écologique?
Sylvestre Wahid – Julien Dumas : Comment recrutez-vous les chefs présents sur site ?
Ce sont deux chefs qui sont sensibles à la transition, Julien Dumas à la question de la pêche, Sylvestre Wahid à la question de la transmission au sens large. Nous avons choisi des chefs qui avaient envie de tenter cette aventure, celle du 100% végétal et accessible en prix, de faire un menu à moins de 20€. Nous sommes déçus d’avoir une programmation 100% masculine sur ce volet, l’égalité femme-homme, le harcèlement en cuisine sont des vrais sujets dans ce métier, donc c’est une petite frustration sur cette édition. L’appel est lancé à toutes les cheffes en tout cas !
Quid des restaurateurs présents ? Avez-vous des critères de sélection ou doivent-ils juste payer un emplacement ?
Ils doivent évidemment faire une offre totalement végétale, ensuite on choisit aussi des endroits que l’on aime sur Paris, beaucoup de personnes qui ont des valeurs qui convergent avec les nôtres. On aimerait aller plus loin sur le local, sur le 100% bio. Mais cela prend du temps et nous n’avons pas encore les équipes pour tout faire au mieux. En tout cas, bien sûr que la location des stands de restauration fait partie de l’équilibre budgétaire du festival.
Idem pour les marques présentes dans le vegan district MMMOOD ?
Autant que possible, nous choisissons des marques et des producteur·ice·s qui font les choses bien. Nous refusons quelques marques avec lesquelles cela ne colle pas du tout. Mais nous n’avons pas de charte à proprement parler.
Partenaires : Yogi Tea ou L214. Les acteurs d’une économie écolo ont-ils intérêt à user des principes de base du marketing à la papa pour gagner les cœurs ? Ou doivent-ils innover pour être crédibles ?
Je crois que le marketing à la papa est en train de mourir et c’est tant mieux. Il faut innover dans la manière de communiquer pour émerger, mais cela ne rime pas toujours avec éthique ou durabilité. De notre côté, nous avons la chance d’avoir des partenaires comme Yogi Tea, Enercoop, la Villette ou KKBB qui nous suivent depuis le début et avec qui nous partageons une vision commune.
Vous prévoyez des conférences, des rencontres, les associations seront sur le terrain de même que les acteurs de cette économie émergente : pensez-vous que les festivals soient les lieux idoines pour éduquer un plus large public ? Ou ne toucherez-vous qu’une audience déjà convaincue ? Quels moyens pour porter la bonne parole écolo ?
Ce serait extrêmement prétentieux de penser avoir la solution pour porter la bonne parole. C’est d’ailleurs selon nous la multiplicité des approches qui crée de l’impact. Notre contribution à nous, c’est de créer un événement coloré, pop, dans un parc ouvert à tous, dans un lieu avec une vraie mixité sociale. Nous sommes poussés par la conviction que la culture a un rôle essentiel à jouer dans la bascule dont la société a besoin. Un festival est un lieu super adapté pour le faire, à condition qu’il soit pensé ainsi !
Aléas du ministère de la transition écologique, bashing de Greta Thunberg, poids des lobbies … l’écologie imprègne les esprits mais pas les décisions. Comment un event tel que SMMMILE peut-il peser dans la balance ? Pensez-vous devenir le lobby du futur ?
On va renverser le système en musique ! Plus sérieusement nous sommes conscients que nous ne pèserons pas à court terme dans la balance, mais rendre le changement sexy c’est une manière de contribuer à son acceptation. On crée un espace où manger végétal c’est simple, où découvrir de nouvelles idées est à portée de main, où réfléchir avec ses enfants est facile. C’est ça notre ambition : montrer que c’est possible et qu’il faut juste penser la société différemment.
SMMMILE : financement et indépendance
Vous avez créé votre association en 2015, le festival en 2016, l’édition 2018 a rassemblé 10 000 personnes. Pourquoi avez-vous percé alors que l’offre culturelle parisienne est déjà saturée ? Quels sont vos objectifs pour 2019 ? Et ensuite ?
Nos objectifs pour 2019, sont qualitatif déjà : que les festivalier·ère·s qui viennent passent un bon moment, qu’ils mangent bien, qu’ils kiffent les concerts, que la qualité des échanges soit là ! Après avoir un tout petit plus de monde que l’année dernière ce serait bien… vendre 1000 ou 2000 repas de plus ce serait top !
Festival à tarif libre, financement participatif : vous avez les mains libres, n’êtes tenu par aucune institution, aucun mécène ? Comment faites-vous pour être à l’équilibre financier ? Pourquoi ce choix risqué alors que de plus en plus de festivals mettent la clé sous la porte faute de fréquentation et de subventions ?
Nous sommes en coproduction avec la Villette, donc il y a des décisions et des orientations qui sont prises de concert. Ils sont vraiment dans une logique de co-construction avec nous, mais il y a aussi des questions de voisinages, de nuisances sonores qui nous empêchent d’avoir les mains libres. Et c’est vraiment dommage.
Côté finances, Nous sommes dans un équilibre très précaire, un fonctionnement qui tient aussi sur beaucoup de bénévolat et de bonnes volontés. Donc nous avons un vrai enjeu de structuration et de pérennisation.
Les festivals sont de plus en plus souvent plombés par le coût des artistes. Avez-vous négocié avec les musiciens programmés ? Ont-ils consenti des ristournes comme c’est parfois le cas à Solidays ? Viennent-ils par conviction ou parce que SMMMILE a le vent en poupe ?
Certains artistes viennent pour des cachets bas et sont arrangeants car ils ont envie de soutenir le festival, qu’ils se reconnaissent dans ce que l’on fait. Mais soyons clairs c’est très compliqué de monter un plateau artistique qui soit financièrement viable. Si des artistes vous lisent, la porte est ouverte à s’engager à nos côtés. Les artistes, comme n’importes quels professionnels peuvent décider de se créer une marge de manœuvre pour agir.
Les festivals travaillent désormais à devenir écolo et durables, ce qui n’est guère évident, vu les installations à mettre en place, les déchets produits, l’énergie nécessaire pour chaque live. Comment faites-vous pour être plus éco-responsable ?
Coté alimentation déjà, un hamburger végétal pollue 4, 5, 10 fois moins que son confrère avec steak de bœuf selon critères d’impact : quantité d’eau, émission de gaz à effet de serre, surface agricole requise et donc intrants chimiques. Donc de ce côté-là, clairement, on met à l’amende l’offre habituelle de festival !
Ensuite nous opérons sur un site qui existe, donc nous utilisons des bâtiments, des installations, des outils de signalétique qui servent à l’année et c’est aussi massif comme diminution d’impact. Nous ne construisons pas un site de festival à partir d’un champ vide ! Et puis on veille aux emballages, à la réutilisation de scénographie avec Phénix, une asso qui bosse là-dessus. Il reste plein de zones de progrès mais disons qu’on fait attention et que ça fait partie d’un tout pour nous.
Un énorme merci à Nicolas Dhers pour son temps, son humour et ses réponses !
Et plus si affinités