Voici donc deux jours que Delphine et Dauphine vous abreuvent de Flaubert because bicentenaire de la naissance de l’auteur de Madame Bovary. Je ne pouvais rester à la ramasse. Du coup, après Flaubert le film, Flaubert le documentaire, Flaubert l’expo et Flaubert le musée, voici Flaubert l’adaptation théâtrale avec une focale sur le spectacle Bouvard et Pécuchet à la sauce Vincent Colin.
Des joies trompeuses de l’entrepreneuriat agronomique
Le metteur en scène s’empare du dernier livre de Flaubert (ouvrage qu’il ne put terminer, frappé qu’il fut par la Faucheuse le 8 mai 1880) pour en tirer un délicieux petit spectacle consacré aux mésaventures campagnardes de ces deux citadins en mal de nature. Deux copistes de métier, qui se rencontrent au cœur de Paris, deviennent amis, partagent les mêmes centres d’intérêt et profitent d’un héritage impromptu pour aller s’adonner aux joies de l’entrepreneuriat agronomique dans une vieille ferme normande. Seulement voilà, l’habit ne fait pas le moine, le tablier ne fait pas le jardinier.
Manque de skills
On a beau lire toutes les encyclopédies et les essais du monde, cela ne rend pas plus habile et efficace pour autant. La petite aventure de Bouvard et Pécuchet va tourner au désastre répété, qu’ils s’exercent à l’agriculture, à l’élevage, à l’arboriculture, à l’astronomie, à la médecine … Tout cela manque singulièrement de hard et de soft skills, comme dirait le DRH baignant dans sa sauce 3.0. Et notre tandem de se morfondre dans sa cambrousse sous la neige, au son déprimant d’une vieille horloge. Les crises politiques, les rapports sociaux, l’évolution du monde autour d’eux ? Ils s’en fichent.
Auto-confinement campagnard
Et nous les voyons se renfermer progressivement dans leur solitude et leur bêtise, tout en interrogeant le non sens de leur vie. Une sorte d’auto-confinement qui n’est pas sans évoquer la situation actuelle où nombre de citadins ont fui la capitale pour rallier la Nature … et découvrir le train-train des petites villes de province. Difficile de ne pas faire le rapprochement entre nos deux anti-héros (chez Flaubert, c’est toujours le cas, le personnage central est forcément un looser) tentant de régler leurs soucis de poiriers pourris en feuilletant frénétiquement leurs bouquins scientifiques et le néo-campagnard qui cherche à planter un clou avec l’aide d’un tuto Youtube.
Paysage sonore
Pour incarner ce binôme burlesque, Philippe Blancher et Roch-Armando Albaladéjo, qui se donnent la réplique avec un bonheur communicatif et un talent certain. Ils peuplent l’espace scénique de leurs échanges, tout en multipliant les sons de ce quotidien plat comme une limande. Une sorte de paysage sonore fait de bruits de couverts, de vin coulant dans les verres, de chien qui fuit dans la cuisine pour échapper à de douloureuses expérimentations. Et puis il y a les autres, la petite bonne qu’on aimerait trousser à la cave, la vieille veuve qu’on voudrait épouser, le curé, les voisins … tous absolument imbuvables et médiocres dans leur vanité de petits bourgeois et de riches paysans.
Des humains en somme
Ce n’est pas sans évoquer l’atmosphère de Madame Bovary bien sûr, à cette différence près que Bouvard et Pécuchet se perdent dans la littérature scientifique au lieu de se noyer dans la littérature romantique. Mais le résultat est finalement le même : un fiasco. Drôle, cynique même : Flaubert disait “Madame Bovary, c’est moi” ? En regardant ces deux petits bonshommes s’acharner à construire, on commence à se demander si finalement, nous ne sommes pas un peu comme eux : naïfs, et bien incapables de cultiver notre jardin. Des Sisyphes modernes, qui regardent leur rocher redescendre la pente avec un air un brin crétin, des gars imbus d’eux-mêmes et touchants à la fois, pleins d’enthousiasme, que rien ne désarme … des humains en somme …
Et plus si affinités