Les publications 13eme note ne s’en cachaient guère, elles en ont même fait leur ligne de force : leur créneau, c’est pêle mêle « autobiographie, aventures, voyages, dépassement de soi, l’odyssée humaine sous toutes ses formes » avec comme auteurs les « gueules cassées couturées de référence néo-beat » le tout sur fond de jazz, blues, country, rock, punk … tout un programme, qui met à l’honneur les écritures américaine et latino, à la fois modernes et transgressives … autant dire qu’avec Speed fiction de Jerry Stahl, on met dans le mille et plus encore, touchant à la fois au sordide le plus atroce et au sublime le plus aérien.
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Rapide et sous speed
Speed fiction : histoires rapides, histoires sous speed. 13 nouvelles haut perchées sur les vagues du délire psychotrope, entre micro chapitres, prises de notes et enregistrements de voyages sous substances les plus illicites qui soient. Ancien tox (dixit son premier opus Permanent midnight – aka Mémoires des ténèbres in french- où il relate ses démêles avec Lady Heroin), Jerry Stahl s’enferme deux semaines durant dans un chambre d’hôtel miteuse pour vomir ces pages, suivant à la trace les cicatrices de piqûres et les odeurs de schnouff qui jalonnent la lamentable non existence des accrocs de tous bords.
Du vécu donc … si l’on n’est plus dans l’autobiographique pure, on sent l’omniprésence d’un passé lourd, dont on ne peut se défaire tant il englue les méninges. En excellent scénariste qu’il est (Twin peaks, Les Experts, …) , l’auteur privilégie le rythme survolté d’images choc qui se superposent à la vitesse de la lumière. Chaque phrase mime l’étouffement progressif des cages thoraciques prêtes à exploser, tandis que les drogues se précipitent dans les veines. A chaque fix, un destin, entre violence familiale, déchéance sociale et sexe anarchique. Le rêve américain ne s’en remet pas.
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Egalité complète face à la meth
On baise beaucoup dans Speed Fiction, du moins on aimerait bien. Mais la dope est traîtresse. Le titre original n’est-il pas Bad sex on speed? Misère intégrale et lente descente vers le tombeau : abusant du tutoiement pour pointer du doigt ses personnages voués à cette dantesque Géhenne, Stahl s’adresse aux hommes comme aux femmes, égalité complète face à la meth comme au LSD, la décomposition du corps, de l’esprit est la même pour tous, préfigurant le passage ultime de la Faucheuse qui égalisera tout ça en fin de parcours. Autant t’avertir de suite, lecteur, si par hasard tu prises fort les paradis artificiels, cette prose va te faire passer l’envie dare dare.
Cette centaine de pages électriques renvoie L’Herbe Bleue et Moi Christiane F. au rayon littérature pour enfants section bibliothèque rose pour dresser un tableau effarant et révulsant de l’addiction telle qu’elle s’est démocratisée avec les 70’s. Le mythe de la came créatrice en prend un sérieux coup dans l’aile ! Zola et l’écriture naturaliste ne sont pas loin, et pas dit que Gervaise réincarnée au XXIeme siècle à LA n’aurait pas plongé comme tous ces anti héros, défoncée 24h/24 au fond d’une quelconque caravane pourrie tandis que Lantier et Coupeau sous LSD s’occuperaient d’initier les gamins à la prise de cristal.
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On appréciera au passage le remarquable travail de traduction effectué par Morgane Saysana, qui sait conserver la frénésie de chaque délire ici retranscris, tout en restituant les particularités d’un vocabulaire pour le moins fleuri. Bref une réussite que cette Speed Fiction, même si l’on en ressort atterré et nauséeux à l’excès, comme au pire moment d’un bad trip sous acide. On n’en déplorera que davantage la fin de 13eme note, sabordée en 2014, alors qu’elle portait haut les couleurs d’une littérature underground et marginale dont nous avons plus que jamais besoin.