Prédateur, du latin latinpraedator, depraedari, piller.
- Se dit des espèces animales qui se nourrissent de proies vivantes.
- Personne, groupe qui établissent leur puissance en profitant de la faiblesse de leurs concurrents.
Pourtant objectives, les définitions avancées par Le Larousse font frémir. Aussi, employer le terme “prédateur” pour titrer un film n’a rien d’innocent. On pense immédiatement au couple vampirique de Tony Scott, à l’impitoyable chasseur extraterrestre initié par John McTiernan. Certainement pas à une armada de gestionnaires en col blanc. Mais le téléfilm réalisé par Lucas Belvaux va vous faire changer d’avis : au cœur de ce palpitant thriller, l’affaire ELF qui n’a rien d’une fiction.
« Notre façon de faire »
200 minutes réparties en deux chapitres intitulés sobrement “Les rois du pétrole” et “Le procès de l’affaire ELF” : il faut au moins ça pour restituer les méandres d’un scandale politico-financier tonitruant et grotesque, néanmoins véridique et significatif des dérives de l’appareil d’état acoquiné aux milieux d’affaire. ELF : créée pour assurer l’indépendance énergétique de la France, l’entreprise publique attire les convoitises. Dans les années 80, alors que Mitterrand accède au pouvoir, Loïc Lefloch-Prigent intrigue pour prendre cette belle endormie en main. Il compte bien la faire fructifier à sa façon, conquérir de nouveaux marchés, forger de nouvelles alliances.
Il va en fait porter à son comble un système de corruption et de caisses noires, qui servent à acheter les dirigeants africains et financer les campagnes politiques. Ingérence dans le fonctionnement démocratique, armement de juntes militaires, tout est bon pour conserver la main sur l’exploitation pétrolière africaine, dans un esprit néocolonial qui cache à peine son nom. Et au passage, chacun se sert dans la tirelire pour mener la belle vie. Et quand quelqu’un n’est pas d’accord ou fait obstacle, on le menace, on l’éradique. C’est « notre façon de faire », comme l’explique Omar Bongo, tout-puissant président du Gabon, qui ne veut en aucun cas que la justice mette le nez dans ce business opaque, mais juteux, « ces arrangements qui échappent aux non-initiés ».
Combines mafieuses
C’est pourtant ce que va faire la juge Eva Joly, malgré les pressions, les menaces physiques, les risques pour sa sécurité et sa vie. Nous la voyons démonter ces combines mafieuses qui perdurent au fil des présidences, de gauche comme de droite. Et elle a fort à faire face à ces grands capitaines d’industrie convaincus de leur bon droit, alors qu’ils pillent l’argent public (le nôtre donc), qu’ils interviennent sans scrupules dans le fonctionnement de pays étrangers, quitte à semer la mort sur leur passage. Delvaux le met en évidence en intégrant des images d’archives montrant le résultat sanglant des guérillas payées par ELF, la misère noire, les arrestations arbitraires, les enfants-soldats, les corps jonchant les rues, les politiques élus légitimement virés sans ménagement quand ils ne sont pas carrément assassinés.
À l’inverse et se régalant de ce dépeçage en règle qu’ils banalisent et dont ils n’ont que faire, les dirigeants d’ELF se prélassent dans de somptueux hôtels particuliers, accumulant œuvres d’art, bijoux, robes de couturier, comptes en Suisse et autres paradis fiscaux. Bref, ils trafiquent et ils en profitent… tout en se dévorant entre eux. C’est à celui qui bouffera les autres, détournant le plus de fric tout en protégeant sa retraite en cas de pépin, prévoyance oblige. Des prédateurs impénitents qui s’étonnent, s’offusquent quand on les arrête dans leur course folle, qu’on leur demande des comptes. Et qui se rejettent la faute, comme des gamins pris la main dans le sac. Sans affect, froids comme des reptiles en chasse.
Un cours d’éducation populaire
Mais personne n’est au-dessus de la loi, et le téléfilm le rappelle d’une manière à la fois claire et concise, s’appuyant sur une narration dynamique et un casting très impliqué, où se distinguent entre autres Nicole Garcia, Claude Brasseur, Philippe Nahon, Aladin Reibel, Pacal N’Zonzi, Wladimir Yordanoff et Nadia Kibout. Les Prédateurs est une leçon en soi, un véritable cours d’éducation populaire destiné à initier un public lassé (pour ne pas dire blasé) par ce genre d’affaire auquel il ne comprend rien et dont il se pense éloigné.
Pourtant, nous sommes tous concernés, car c’est notre argent qui est ici utilisé, détourné, l’argent public, nos impôts, ce que nous donnons chaque année pour assurer le bon fonctionnement de l’État, des services publics, notre bien à tous. On l’oublie trop souvent. Les Prédateurs nous le rappelle, tout en détaillant ce que la prédation en col blanc peut signifier. Et cela est terrifiant.