Stéphane Ricordel, actuel co-directeur du Monfort avec Laurence de Magalhaes, et les Dakh Daughters, nous convient et ce jusqu’au 14 janvier, à leur cabaret débordant d’énergie créatrice : le Terabak de Kyiv. Assisté de Patrice Wojciechowski, accompagné par la composition musicale de Vlad Troitsky, Stéphane Ricordel met en scène et explore pendant près de deux heures un espace scénique protéiforme. Ce dernier devient le lieu de tous les possibles, un cabaret explosif où musiciennes, meneuses et meneurs de revue, comédiens, magiciens, circassiens s’expriment sans retenue dans une sorte d’affirmation permanente si ce n’est de révolte.
Dès les premières minutes Terabak de Kyiv s’adresse aux spectateurs sans ménagement. La soirée s’annonce exubérante, sensuelle, décoiffante. Les six musiciennes, chanteuses et comédiennes des Dakh Daughters mènent la danse de cette communauté artistique inclassable. Ici tout se fait et se défait dans l’instant qui suit. Tous participent au montage et démontage des différents espaces scéniques accueillant chaque nouveau numéro. Du plongeoir au trampoline, des différents agrès à la piste de danse, il faut voir avec quelle énergie chacun se jette dans l’arène. Mises en place et aménagements de l’espace sont donnés à voir comme autant de matières artistiques, artisanales. Nous sommes généreusement plongés au cœur du travail, et c’est un régal.
Il y a du jeu, de la bienveillance, de la malignité, des sourires dans les regards de ces interprètes qui provoquent nos émotions les plus enfouies. Il suffit de voir (et de s’y accrocher) l’acrobate Matias Pilet, glissant, tombant, rebondissant d’un plongeoir. Il a pour partenaire le bois, le métal, des éléments pouvant paraître rigides, mais dont il s’accommode parfaitement, s’appuyant sur l’air, sur une puissante technique et une incroyable disponibilité. Contrairement aux films muets d’un Chaplin ou d’un Keaton, ici, les oreilles du spectateur sont aux premières loges quant aux multiples sonorités émergeant de ce numéro. Tous ces éléments participent donc à réveiller peurs, joie, soulagement. Les moments d’apnée se répètent quand arrive au cadre le couple Josefina Castro Pereyra et Daniel Ortiz. Mais les sensations se troublent et changent à chaque scènes.
Alternant numéros de cirque et de magie, Terabak de Kyiv fait bien sûr la part belle au chant. C’est alors au tour des chanteuses ukrainiennes de faire voler les codes, de donner de la voix. Les Dakh Daughters ont cette capacité à vous embarquer dans un univers visuel (leurs costumes sont toujours très travaillés et recherchés, tant par les matières, les couleurs, accessoires et maquillages) et sonore complètement original. Leurs compositions sont teintées de pop, de rap, de musiques traditionnelles ukrainiennes, de rock. Elles donnent à leurs voix des couleurs insoupçonnées qui peuvent autant réveiller que bercer, et ce parfois dans un même morceau. Elles dégagent sur scène une présence et une confiance teintées d’un joyeux humour, qui vous embarquent immédiatement. Rencontrées, il y a quelques années déjà, par l’intermédiaire de Vlad Troitsky le directeur du Vlad Théâtre dont elles sont issues, Stéphane Ricordel souhaitait les retrouver pour un cabaret. C’est désormais chose faite et avec succès.
Terabak de Kyiv est une expérience sensorielle complète. Le goût y est aussi convoqué. On peut en effet chaque soir dîner d’un repas ukrainien dans la Baraque du Monfort. Stéphane Ricordel et les Dakh Daughters, entourés d’artistes tous aussi généreux les uns que les autres, composent une soirée décapante, enthousiasmante, s’adressant à tout le monde. La vie s’y est exprimée avec une telle conviction, qu’on en ressort dynamisé, et peut-être un peu plus vivant.
Et plus si affinités